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Et si l’immobilier chutait? Les banques promettent d’être tolérantes, mais…

Les experts refusent de parler de bulle immobilière, mais admettent le risque d’une «correction» de 20% à 25%. Quelles seraient les conséquences concrètes d’une telle baisse pour les propriétaires?

Interrogés cette semaine sur l’éventualité de l’éclatement de la bulle immobilière sur l’arc lémanique, les professionnels de l’immobilier ont multiplié les précautions oratoires. A l’image de Nicolas Grange, président du plus grand réseau de courtiers immobiliers de Suisse, qui réfutait l’existence d’une bulle tout en admettant récemment dansLe Tempsqu’une correction de «20% à 25% au cours des prochaines années» serait non seulement «tout à fait envisageable» mais «presque souhaitable».

Pour savoir quelles seraient les conséquences concrètes de baisses de prix d’une telle ampleur pour les propriétaires, «Le Matin Dimanche» a adressé la question suivante à quatre banques: Que se passe-t-il si la maison pour laquelle j’ai avancé 20% de fonds propres perd 25% de sa valeur? Surprise: deux des quatre établissements interrogés, Raiffeisen et la Banque Cantonale Vaudoise (BCV), ont commencé par réfuter une telle éventualité, jugée trop peu réaliste. UBS l’a considérée pour sa part «nettement plus complexe». «Fondamentalement, une telle situation(une baisse de 25%, ndlr)nous paraît hautement improbable», estime Philippe Thévoz, conseiller en communication de Raiffeisen Suisse.

En théorie ou en pratique?

Cette hypothèse n’est pourtant pas aussi inimaginable que ça. Cet été, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) a ordonné aux banques d’évaluer leur niveau de perte correspondant à divers scénarios catastrophe, dont une chute atteignant 40% sur le marché immobilier. Le public n’en connaîtra toutefois pas le fin mot, puisque les résultats de ces «stress tests» sont tenus secrets par la FINMA.

Autre fait surprenant: le seul établissement qui n’a pas cherché à contester l’hypothèse soumise par «Le Matin Dimanche» est le Crédit Agricole (Suisse), décrié dans la branche pour accorder des crédits contre seulement 10% de fonds propres. En insistant auprès des trois autres, il apparaît qu’il n’existe tout simplement aucune marche à suivre standard dans le cas où la chute des prix atteindrait ou dépasserait la part des fonds propres du client.

Les banques auraient en réalité toute latitude pour réagir, selon la brutalité de la «correction», le profil du client et, surtout, en fonction de la menace que feraient courir ces dépréciations sur leurs bilans. Le flou est tel qu’un expert indépendant comme Stéphane Defferrard en est réduit à l’usage du conditionnel: «Même en cas de baisse générale des prix, tant que le client paie ses charges, la banque ne devrait pas demander d’amortissement extraordinaire. » Dans le langage de la branche, un amortissement extraordinaire est l’équivalent d’un appel de marge: le couperet tombant sur un débiteur dont les garanties ne suffisent plus à couvrir les dettes.

Exemple: si la valeur de son bien est revue à la baisse de 25%, l’acheteur qui a avancé 200 000 francs de fonds propres pour l’achat d’une maison de 1 million se retrouve à découvert de 50 000 francs auprès de sa banque, qui peut exiger le versement de cette somme dans un délai très bref. «Je ne sais pas s’ils le feront», note prudemment Stéphane Defferrard.

«Si aucune solution ne peut être trouvée, la banque aurait contractuellement la possibilité de résilier le prêt hypothécaire de manière anticipée, indique Jean-Raphaël Fontannaz, porte-parole d’UBS. Mais, dans la pratique, la banque va, en règle générale, chercher une solution avec le client pour couvrir le montant du gage», poursuit-il. Par exemple? La banque évoque le dépôt d’une garantie supplémentaire, d’une police d’assurance-vie ou une avance sur le deuxième pilier.

«Théoriquement, dans le cas que vous décrivez, une couverture supplémentaire devrait être fournie», confirme à son tour Philippe Thévoz. Le critère décisif dans cette situation serait la capacité du client à continuer d’honorer ses intérêts. Sous cette condition, «le risque de voir la banque interpeller son client pour exiger des garanties complémentaires (…) me semble utopique», rassure le directeur adjoint du Crédit Agricole (Suisse), Christophe Mettler. «Si le client fait face à ses obligations, il n’y a pas de raison d’agir», confirme la BCV. «Tant que les intérêts sont payés, la banque se comportera avec souplesse», promet encore le porte-parole de Raiffeisen, qui précise que la banque devrait tout de même «adapter l’amortissement en conséquence, afin de réduire le manque de couverture aussi vite que possible».

Les langues qui se délient sous couvert de l’anonymat laissent entrevoir la réalité plus tangible d’un krach immobilier qui effacerait les fonds propres de certains propriétaires. «Tant que le client ne vend pas et qu’il peut amortir, il n’arrivera rien, confirme un banquier. Il aura perdu une partie de son deuxième pilier, il n’ira plus en vacances quelques années, et peut-être que madame devra reprendre un travail. Ce serait dur, mais ça devrait passer. »