Deux affaires de corruption avaient attiré l’attention du Département de la justice sur la banque saint-galloise. Ses transactions en dollars étaient surveillées depuis 2009, grâce à UBS.
Celle qui était il y a une semaine encore la plus ancienne banque privée de Suisse est tombée à cause du compte 101-WA-358967-000. Hebergé chez UBS à Stamford, dans le Connecticut, il servait à Wegelin & Co pour régler toutes les transactions en dollars de sa riche et très diverse clientèle. Des documents de justice montrent que les autorités américaines y pistaient les activités de la banque saint-galloise depuis au moins trois ans grâce à la collaboration d’UBS.
Konrad Hummler le savait, mais n’a pas cru bon de changer ses méthodes. Durant l’été 2010, alors que tous les établissements suisses juraient s’être débarrassés de tous leurs clients américains non déclarés, sa banque osait encore utiliser ce compte UBS pour envoyer 37 000 dollars au noir à un client qui désirait se payer un safari au Botswana. Cette transaction, comme des centaines d’autres effectuées jusqu’en août 2011, ont valu vendredi à Wegelin & Co de laisser son nom dans l’histoire comme la première banque étrangère à faire les frais d’une inculpation pénale par la justice américaine. Or il apparaît que Washington s’intéressait à Wegelin et à son «general partner» Konrad Hummler bien avant l’assaut lancé contre Credit Suisse et la poignée d’autres banques accusées d’avoir recueilli les clients non déclarés dont UBS se débarrassait.
Le banquier de ces dames
En février 2010, un rapport du Comité d’enquête du Sénat avait révélé les liens privilégiés de la banque suisse avec Atiku Abubakar, un ancien vice-président et patron des douanes du Nigeria, dont l’épouse Jennifer menait grand train aux Etats-Unis. Le rapport, qui détaillait les virements effectués par le couple nigérian, mentionnait clairement sa source: UBS. Se pliant à un mandat, la filiale américaine de la grande banque avait livré toutes les données du compte en dollars qu’elle hébergeait pour Wegelin.
Les Etats-Unis en avaient profité pour adresser une demande d’entraide à la Suisse en mai 2009. En août, Konrad Hummler signait un commentaire d’investissement où il fait ses «adieux à l’Amérique» et à son marché des actions. Il aurait pu en profiter pour clore son compte en dollars chez UBS qu’il savait exposé, mais il ne l’a pas fait. Deux mois à peine après le premier coup de semonce de la commission rogatoire américaine sur les comptes Abubakar, une autre enquête allait à nouveau attirer l’attention des Américains sur les activités de Wegelin. Celle-là venait de Taïwan. Et, hasard de l’histoire, elle touchait aussi l’épouse d’un homme politique très exposé.
Prison à vie pour le président
Alertées par des soupçons de corruption touchant leur président Chen Shui-bian, les autorités taïwanaises avaient adressé des demandes d’entraide à la Suisse et aux Etats-Unis. Toutes deux visaient explicitement le compte 101-WA-358967-000 de Wegelin. Il avait permis à l’épouse du président corrompu, Sue-Jen, de faire transiter 17 millions de dollars de la Suisse vers les Etats-Unis. C’est notamment sur la base de ces informations que Chen Shui-bian a été jugé coupable de corruption et condamné en septembre 2009 à la réclusion criminelle à perpétuité.
Depuis, la justice américaine n’a eu qu’à tirer la pelote. En octobre 2009, un citoyen allemand de 44 ans, Stefan Seuss était arrêté à son domicile à Miami. Son acte d’inculpation le présentait comme un «associé» de la banque suisse Wegelin & Co. Interrogée à l’époque par le quotidien Le Temps, Wegelin avait indiqué que Stefan Seuss n’était «qu’un des nombreux avocats» avec lesquels elle collaborait «de façon ponctuelle». En réalité, Stefan Seuss était le principal relais du couple Shui-bian aux Etats-Unis. Et il en savait beaucoup sur les activités de la banque saint-galloise.
Il y a un mois, Konrad Hummler estimait peu probable qu’un tribunal américain ose inculper sa banque pour fraude fiscale, évoquant les effets «déstabilisateurs sur tout le système» d’un tel acte. Quelques semaines plus tard, il vendait sa banque pour une bouchée de pain à Raiffeisen. En mars dernier, Stefan Seuss a quant à lui obtenu une importante réduction de peine.