dans banquiers suisses

Une start-up en eaux troubles

La promotion économique de Neuchâtel soutenait une jeune pousse du nom de Swiss Water Tech. Problème: la banque cantonale a pensé qu’il s’agissait d’une fraude, et a appelé la police. Depuis, l’affaire a méchamment dérapé.

Une verison de cet article est parue dans L’Hebdo du 17 juillet 2014.

L’idée, c’était de transformer la merde en or. Au sens propre. La société Swiss Water Tech SA, installée à Neuchâtel début 2013 avec l’aide du Service cantonal de la promotion économique, devait développer des systèmes de purification d’eau. Sur son site internet, il était question de «générateurs atmosphériques» et de «systèmes de conversion à plasma».

L’entreprise avait été fondée par Ralph Hofmeier, un Allemand de 53 ans basé en Floride. Son parcours n’était pas très clair, mais il se murmurait qu’il avait fait fortune en Bourse aux Etats-Unis. Son associée, la Mexicaine Irma Velázquez, 48 ans, était sa partenaire en affaires comme dans la vie.

A première vue, le montage du duo était un peu tarabiscoté: Swiss Water Tech SA était elle-même détenue par une autre entreprise, Eurosport World Active Corporation Inc., basée à Miami. Avant de se lancer dans la purification d’eau, en 2008, cette société disait vendre des boissons énergétiques sur l’internet. C’est pour elle que Swiss Water Tech SA devait développer des technologies novatrices.

Car révolutionner l’approvisionnement en eau potable dans le monde n’était qu’une étape transitoire pour les associés. Leur but avoué était de faire entrer la société Eurosport World à la Bourse américaine, et d’y décrocher la timbale.

Le couple s’installe dans un bel appartement à Neuchâtel et, en mai 2013, ouvre les comptes de l’entreprise auprès de la Banque cantonale neuchâteloise (BCN).

La promotion économique neuchâteloise est visiblement emballée par le projet. Un soutien de 350 000 francs est évoqué. Le service ouvre aussi des portes au couple.

Il est bientôt question d’un «projet pilote», devisé à plusieurs millions de francs, pour installer la technologie de Swiss Water Tech au centre d’épuration du quai Robert-Comtesse. Ralph Hofmeier dit être sur le point de signer des contrats en centaines de millions de dollars au Pakistan et au Nigeria. Sauf que les mois passent, et l’entrée en Bourse ne vient pas.

Fin février 2014, la BCN reçoit une mauvaise nouvelle. Une banque d’affaires américaine a refusé de traiter avec Eurosport World, ce qui compromet le projet de cotation. Autre détail inquiétant: un appartement qu’Irma Velázquez détient sur la Côte vaudoise fait l’objet d’une vente forcée. Les banquiers neuchâtelois se livrent alors à un «examen rétroactif» des transactions sur les comptes de Swiss Water Tech.

Ce qu’ils y découvrent les oblige à passer à l’action.

Le 3 mars, le département «compliance» de la BCN envoie par fax une déclaration de soupçon au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent, le MROS. Conformément à l’usage, ce document est signé par un code qui protège l’identité de l’employé qui l’a rédigé.

Sur ce formulaire de cinq pages, dont L’Hebdo a obtenu copie, «CK2» observe que près de 300 000 francs ont été virés sur les comptes de Swiss Water Tech par des «tiers» depuis la Suisse, les Etats-Unis, Israël et les Pays-Bas.

Le rapport note que «ces fonds ont été immédiatement utilisés pour régler des charges courantes des deux administrateurs. Aucun investissement n’a visiblement été réalisé.» CK2 conclut: «Ces entrées de fonds pourraient provenir de personnes qui pensent investir dans des énergies vertes, mais qui pourraient n’être que des victimes d’une escroquerie.»

Les autorités ne font ni une ni deux. Le MROS délègue l’affaire au Ministère public neuchâtelois, qui la confie à son tour au «pôle financier» de La Chaux-de-Fonds. Sur son ordre, le 25 mars au petit matin, des policiers en armes perquisitionnent au domicile neuchâtelois de Ralph Hofmeier et d’Irma Velázquez. Ils saisissent un ordinateur et interrogent le couple pendant près de dix heures.

Le parquet contacte alors les «investisseurs» de Swiss Water Tech. Mais là, surprise: ceux-ci ne se sentent pas lésés. Aucun ne souhaitait investir pour de bon dans des énergies renouvelables. Peu importe si leur argent n’était pas vraiment investi: ils attendaient uniquement le pactole promis par une future cotation en Bourse. Aucune plainte n’a été déposée, et le parquet a rapidement clos l’enquête.

Ralph Hofmeier ne compte pas en rester là. «Nous avons été gravement lésés par le comportement de la banque et du canton», dénonce-t-il aujourd’hui. Le 27 juin, sa société Eurosport World a déposé plainte pour diffamation contre la BCN devant un tribunal de Miami et réclame 200 millions de dollars de dommages, correspondant aux contrats perdus. La plainte identifie aussi l’employée qui se cachait sous le code CK2, et la poursuit à titre individuel.

Une telle procédure contre une banque suisse est exceptionnelle, estime le spécialiste en droit bancaire Carlo Lombardini.

En Suisse, les banques bénéficient de l’immunité lorsqu’elles dénoncent des soupçons aux autorités. Et ce précisément pour éviter ce genre de représailles. Mais qu’en pensera une cour américaine? La BCN le découvrira bientôt.

Son directeur, Jean-Noël Duc, s’est dit «serein», lundi 14 juillet, en apprenant le dépôt de la plainte. De son côté, Christian Barbier, chef du Service neuchâtelois de l’économie, indique que les soutiens envisagés à Swiss Water Tech ne se sont finalement «pas concrétisés». «A ce jour, il n’y a eu aucun argent public versé dans ce projet», assure-t-il.