Les héritiers du politicien indonésien Adam Malik attaquent UBS pour un compte en déshérence. La Suisse deviendra bientôt plus transparente en la matière.
Une version de cet article est paru dans L’Hebdo du 25 septembre 2014.
Le fantôme d’Adam Malik a bien choisi son moment pour venir frapper à la porte d’UBS. Alors que les banques suisses s’apprêtent à appliquer de nouvelles règles en matière de fonds en déshérence, les héritiers de ce vice-ministre de l’Indonésie décédé en 1984 viennent de porter plainte contre la banque devant un tribunal de Californie, le 12 septembre dernier.
Ils l’accusent d’avoir perdu – ou fait semblant de perdre – toute trace d’un magot de 5 millions de dollars et de lingots d’or que leur père aurait caché en Suisse dans les années 70 et 80, sous le régime autoritaire et corrompu du président Suharto.
La plainte ne s’arrête pas à la fortune personnelle de cette figure historique de l’Indonésie, acquise dans des conditions troubles. Lancée sous la forme d’une action collective, la procédure demande un règlement global, ouvert à tous les détenteurs de compte en déshérence d’UBS, calqué sur l’accord qui avait débouché sur le versement de 1,25 milliard de dollars par les banques suisses aux victimes de l’Holocauste en 1998.
Selon les héritiers d’Adam Malik, la plainte vise à punir «la pratique de tromperie et de violation des lois internationales» de la banque, qui a consisté à «s’approprier les avoirs de clients en profitant du climat d’opacité qui régnait en Suisse, du manque de documentation remise aux clients, et du fait que ceux-ci étaient peu susceptibles de se plaindre du fait de leur désir de maintenir secrète l’existence de leurs comptes».
En toile de fond de ces griefs se dessine une question qui taraude la Suisse depuis plus de quinze ans: après avoir accepté de régler collectivement le cas des clients disparus lors de l’Holocauste, les banques suisses devront-elles un jour faire de même pour tous les autres détenteurs de comptes dont les avoirs ont aussi été perdus au fil des décennies et qui dorment toujours dans leurs coffres?
Le séisme de l’affaire des fonds juifs avait poussé le Conseil fédéral à mandater une commission d’experts pour rédiger un projet de loi réglant une fois pour toutes la question des avoirs non réclamés. En 2004, ces experts avaient proposé de rétrocéder ces avoirs à la Confédération après un délai de trente ans.
L’idée n’avait pas été retenue. Au lieu de cela, l’Association suisse des banquiers (ASB) avait été chargée de rédiger les directives qui régissent toujours le système aujourd’hui.
Après dix ans sans nouvelles, les coordonnées des clients disparus sont transmises à l’ombudsman des banques, qui les maintient dans un registre. Les éventuels ayants droit peuvent s’adresser à lui. S’ils disposent des informations nécessaires et que celles-ci concordent, les avoirs leur sont rendus. Sinon, les fortunes perdues continuent de dormir dans les comptes de la banque.
Il n’existe aucune estimation fiable du montant des fonds en déshérence dans les banques suisses. L’ombudsman reçoit un peu moins de 500 demandes chaque année. En 2013, 330 concordances ont été retrouvées et 47 millions de francs rendus, ainsi que le contenu de 36 coffres.
La fin du secret bancaire, qui a contraint les banques à clarifier le statut de leur clientèle, a fait émerger bien des cadavres. En 2009 par exemple, UBS avait reconnu qu’elle avait perdu le contact avec les détenteurs de 7236 comptes sur les 52 000 qu’elle gérait pour des Américains. Ces comptes abritaient 151 millions de dollars.
Face à l’émergence de ce problème, le Conseil fédéral a décidé d’inclure une modification aux directives de 2004 dans la révision de l’ordonnance sur les ban-ques, qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain.
«Cette révision introduit des nouveautés importantes, explique David Laufer, fondateur de la société LMD Search, spécialisée dans la recherche de titulaires et d’héritiers de comptes en déshérence. D’abord, les banques auront désormais un devoir de diligence inscrit dans la loi, et non plus seulement dans les directives de l’ASB.
Ensuite, l’obligation de conserver le contact échoit désormais à la banque, et non plus au client.» La nouveauté la plus symbolique de cette révision prévoit la publication des noms des ayants droit de comptes dormants après un délai de cinquante ans. Après soixante ans, les avoirs seront reversés à la caisse générale de la Confédération.
«La publication des noms représentera un changement de paradigme complet pour les banques, observe David Laufer. Cela ne va pas sans créer de gros remous.»
Les héritiers d’Adam Malik, dont les noms ne sont pas révélés dans la plainte, disent avoir tout tenté pour récupérer leurs avoirs selon les règles actuelles. L’ombudsman des banques leur a indiqué n’avoir rien retrouvé, tout comme la banque.
Les plaignants soupçonnent que les comptes ont pu être masqués de façon à éviter qu’ils ne soient retrouvés. Un porte-parole d’UBS n’a pas souhaité commenter ces accusations.
La révélation des affaires financières d’Adam Malik pourrait avoir des «répercussions politiques considérables en Indonésie», affirment les héritiers, en réveillant le passé de corruption généralisée du régime Suharto. Ils estiment que cette situation rendrait impossible un procès impartial, tant en Suisse que dans leur pays.