Un ancien cadre d’UBS a été arrêté la semaine dernière à son arrivée à New York. Dans le viseur des Américains: la filiale suisse de la banque britannique Coutts, propriété de Sa Majesté depuis 2008.
Par François Pilet et Julie Zaugg
P. R. est un fan de Harley-Davidson et de heavy metal des années 1980. Genre Gotthard et ZZ Top. Sur sa page Facebook, le banquier suisse pose au guidon d’une Harley Road King rutilante, vrombissant entre les canyons quelque part dans le grand Ouest américain, un drapeau étoilé flottant sur le porte-bagages.
A 55 ans, P. R. s’apprête à découvrir la face cachée du rêve américain. Cet ex-cadre romand d’UBS résidant sur La Côte a été arrêté le jeudi 18 avril à son arrivée à New York, où il se rendait pour un séjour privé aux Etats-Unis. Nadine Olivieri, consule générale adjointe à New York, confirme l’information du «Matin Dimanche»: «Nous avons été informés de ce cas et l’avons accompagné dans le cadre de la protection consulaire», indique-t-elle.
Selon nos informations, P. R. a été transféré en Floride, où il séjourne désormais en liberté surveillée, un bracelet électronique à la cheville. Cette destination ne doit rien au hasard. La Cour fédérale de Miami a déjà instruit plusieurs affaires de fraude fiscale par des banques suisses.
Après Bradley Birkenfeld, son chef Martin Liechti et Renzo Gadola chez UBS, Christos Bagios pour Credit Suisse et Daniel Sprecher pour Wegelin, P. R. est le sixième banquier suisse à se laisser cueillir par les autorités lors d’un séjour aux Etats-Unis. Tous ses prédécesseurs sont passés aux aveux, ont dénoncé leurs hiérarchies et nourri des accusations pénales contre leurs anciens chefs et contre les banques qui les employaient.
A l’heure de mettre sous presse samedi, les autorités américaines n’avaient rendu public ni plainte ni acte d’inculpation à l’encontre de P. R. On ne sait donc rien des éventuelles charges qui pourraient être retenues contre lui.
Un avocat américain interrogé par «Le Matin Dimanche» explique que dans ce genre d’affaires, «les actes d’inculpation et ou les plaintes pénales contre des individus sont en général maintenus sous scellés jusqu’à leur arrestation, mais sont ensuite publiés assez rapidement». Il estime que «le fait que les autorités américaines ne l’aient pas encore fait dans ce cas est un indice fort indiquant que le prévenu est en train de coopérer avec la justice, ce qui a pour effet de retarder la levée des scellés».
Les circonstances de l’arrestation de P. R. correspondent en tout point à celle de Christos Bagios, un ex-employé d’UBS et du Credit Suisse arrêté dans un hôtel de Manhattan en janvier 2011. Il avait passé 20 mois en résidence surveillée en Floride avant de plaider coupable, en novembre 2012. Sa famille avait dû verser 650 000 dollars de caution pour lui permettre de rentrer en Suisse, la plongeant dans une situation financière difficile.
P. R. a travaillé jusqu’en 2009 pour UBS où il s’occupait de la clientèle russe. Le Romand avait ensuite fait un passage de deux ans auprès de la banque Sarasin avant de rejoindre la britannique Coutts, à Genève, début 2012. Selon nos informations, P. R. aurait maintenu des relations bancaires avec des clients de double nationalité russe et américaine, évitant de déclarer leurs comptes au fisc de l’oncle Sam en ne les enregistrant au sein de la banque que sous leur premier passeport.
Les enquêtes de la justice américaine semblent redoubler de vigueur alors que le gouvernement suisse tente de négocier un «accord global» qui mettrait un terme à ces poursuites, jusqu’ici sans succès. Un banquier et un avocat zurichois ont été inculpés de fraude la semaine dernière.
Fondée en 1692 et surnommée «la banque de la reine d’Angleterre», Coutts est détenue à 84% par le gouvernement britannique depuis le coûteux sauvetage de sa maison mère, Royal Bank of Scotland, par le contribuable fin 2008.
Les employés de Coutts à Genève et à Zurich ont été informés vendredi de l’imminence d’une enquête interne. Ils ont reçu l’ordre de ne pas parler à la presse et de s’abstenir de détruire des documents. Le siège de Londres s’est dit dans l’impossibilité de commenter cette affaire, précisant seulement que «Coutts est conscient de ses obligations envers ses clients et les autorités compétentes».
P. R. a toujours accès à Internet. Il a posté une photo sur Facebook vendredi. On y voit un squale, accompagné de ce commentaire: «Je nage avec les requins, et malgré ce que les médias voudraient vous faire croire, ils n’ont jamais essayé de me manger. »