En dix ans, l’Association internationale du transport aérien, l’IATA, a discrètement mis à la porte plus de 1000 employés pour les remplacer par de «nouveaux talents». Estimant qu’un message posté sur Internet pourrait nuire à sa carrière, le chef des ressources humaines a porté plainte
Peu de chefs des ressources humaines peuvent se vanter d’avoir licencié plus de 1000 personnes durant leur carrière. C’est le cas de Guido Gianasso, dont le titre exact est «Vice President of Human Capital» au sein de l’Association internationale du transport aérien (IATA), dont le siège est à Genève.
En dix ans, le lobby mondial des compagnies aériennes a subi un vaste plan de restructuration. Plus de 60% des salariés ont été progressivement, et surtout discrètement, mis à la porte pour être remplacés par de «nouveaux talents». L’association compte actuellement 1450 salariés dans le monde, contre 1480 en 2005. Entre-temps, pourtant, plus de 1000 employés ont été remplacés sous la houlette de Guido Gianasso, comme le révèlent des documents de justice consultés par «Le Matin Dimanche».
Cette restructuration lui a attiré de fortes inimitiés au sein de l’entreprise. A l’annonce des premiers licenciements, en 2003, l’Italien avait déjà fait l’objet de menaces physiques et sa voiture avait été vandalisée dans le parking de l’aéroport de Cointrin. La dernière vague de licenciements initiée en 2009 est aujourd’hui terminée, mais selon le chef du personnel, la «rancœur des employés a persisté». Notamment sur Internet. En novembre dernier, un message particulièrement critique envers le cadre est apparu sur le site américain Glassdoor. com, qui évalue les employeurs en fonction des notes attribuées de manière anonyme par leurs propres salariés. L’IATA y est particulièrement mal classée.
En décembre, Guido Gianasso a porté plainte auprès des autorités genevoises pour diffamation, visant un message en particulier, signé «IATA Anonymous». Dans un premier temps, Guido Gianasso dit s’être adressé «par deux fois» au procureur général de la République, mais sans succès. C’est finalement la Police de la sécurité internationale (PSI) de l’aéroport qui a été chargée de l’enquête. Depuis janvier, le détective Thomas Dupont de la brigade judiciaire, basée à Cointrin, est chargé d’identifier «IATA Anonymous».
Selon le porte-parole de la police genevoise Partick Puhl, l’attribution de l’enquête à la brigade de l’aéroport montre que l’affaire est prise «très au sérieux». Le chef du personnel estime que le message, qui a été retiré depuis, contenait des affirmations «trompeuses sur son style de direction», et pouvait ainsi nuire à sa carrière.
Les 32 commentaires concernant l’IATA actuellement en ligne sur Glassdoor. com sont très précis et étayés. Même si certains soulignent des points positifs, comme un niveau de rémunération au-dessus de la moyenne, ces messages sont presque unanimement critiques envers la direction. Certains sont ravageurs. L’un d’entre eux, envoyé depuis le siège de Genève, dénonce une gestion du personnel «inhumaine», basée sur un «management de la peur» et traitant les employés comme des «esclaves». «Les vétérans ont été écartés pour faire de la place à de jeunes diplômés en business de 35 ans», lit-on dans un commentaire, faisant état de «pressions incroyables pour vendre des manuels, du consulting et des formations (ndlr: à destination des compagnies aériennes) à des prix ridiculement élevés, tout cela pour alimenter le train de vie et les rémunérations outrageuses de quelques privilégiés». D’autres messages invitent le nouveau directeur, le Britannique Tony Tyler, à se séparer des «personnes vicieuses» et à mettre un terme à «l’ère italienne».
De son côté, Guido Gianasso ne reproche rien au site Glassdoor. com. Dans un e-mail libellé «confidentiel» envoyé à la direction du site en novembre, il affirmait: «En tant que cadre à l’expérience internationale, je crois fermement que des sites comme le vôtre contribuent à améliorer la transparence dans le domaine de l’emploi. » Guido Gianasso précise qu’il ne demande pas «à ce que tous les commentaires négatifs soient retirés», mais qu’il vise seulement à obtenir le retrait du message incriminé. A ses yeux, celui-ci causait des «dommages presque impossibles à réparer» à sa «réputation bâtie sur plusieurs décennies de dur labeur». Ni l’IATA ni Guido Gianasso n’ont souhaité s’exprimer.