dans Credit Suisse

Immunité amère

Walter Berchtold avait pris la décision de liquider le desk Etats-Unis du Credit Suisse en 2009. L’opération s’est mal passée. Une dizaine de ses subalternes ont été inculpés, les autres licenciés et dénoncés aux Etats-Unis. Lui a obtenu l’immunité, et figure désormais parmi les papables à la succession de Brady Dougan

Walter Berchtold n’avait qu’une petite vingtaine de personnes face à lui, ce matin du 5 janvier 2009, mais la séance s’est avérée une des plus délicates de sa carrière. Le chef de la gestion de fortune du Credit Suisse avait convoqué ses gérants offshore pour leur annoncer que leur division, celle active aux Etats-Unis, allait être liquidée. Les clients américains non déclarés devaient être passés par-dessus bord, au plus vite. En ce début 2009, alors qu’UBS s’apprêtait à verser une amende record pour fraude fiscale, le Credit Suisse pensait encore passer entre les gouttes. Sauf que l’opération de liquidation des comptes américains non déclarés s’est très, très mal passée. Au lieu de sauver la banque, elle a abouti à l’enfoncer plus encore dans le guêpier fiscal.

Le 14 février 2009, Walter Berchtold assurait auTempsque le «modèle d’affaires du Credit Suisse avec la clientèle américaine consiste à respecter les plus hauts standards d’application des lois en vigueur». Ces propos ne faisaient que masquer la panique qui régnait au sein de la division de gestion de fortune offshore du Credit Suisse, chez ses clients et chez une partie des gérants. Quinze jours après les déclarations apaisantes du grand chef, un employé genevois aidait une cliente de New York à vider son compte en lui envoyant des chèques par DHL. En juillet, un autre client achetait 16 kilos d’or, aussitôt mis à l’abri dans un coffre de la banque, pour tenter d’échapper au fisc. Des dizaines de comptes non déclarés ont été transférés vers des banques privées ou cantonales.

Ce sont ces violations des lois américaines, réalisées après l’affaire UBS et alors que Walter Berchtold était aux commandes, qui ont finalement précipité le Credit Suisse dans le viseur américain. Le drame s’est noué le 26 janvier 2011 avec l’arrestation de Christos Bagios, ex-employé d’UBS embauché par le Credit Suisse en 2009, dans un hôtel de Manhattan par des agents de l’IRS. Par la suite, sept autres employés du desk américain ont fait l’objet d’inculpations in abstentia.

Dans les mois qui ont suivi, les membres de l’équipe ont démissionné, ou été mis en congé forcé. Les rares survivants ont appris ce printemps que leurs noms avaient été transmis au Département de la justice parmi des milliers de documents et d’e-mails internes.

Walter Berchtold, lui, est sorti indemne – et riche – de cette débandade. En avril 2010, le cadre obtenait un bonus de 34 millions de francs, le plus gros pactole de sa carrière, au titre de cette année 2009 fatidique. Lors de l’assaut américain, en 2011, alors que les inculpations pleuvaient sur ses subalternes, le cadre obtenait un sauf-conduit pour se rendre aux Etats-Unis et témoigner devant les autorités. Qu’a-t-il dit? Qui a-t-il chargé? Les employés du Credit Suisse en sont réduits aux conjectures. Le Zurichois a emporté ce secret dans son aspiration vers les hautes sphères hiérarchiques de la banque.

Le 1er août 2011, Walter Berchtold était promu au poste de président du Private Banking, juste au-dessous de Brady Dougan, laissant la direction de la gestion de fortune à Hans-Ulrich Meister. Après un an de ce placard doré, il n’attend plus qu’un règlement définitif du litige entre sa banque et les Etats-Unis pour en sortir. Son nom revient d’ailleurs avec insistance, depuis quelques semaines, dans la course à la succession du grand patron Brady Dougan.

Outre Walter Berchtold, un autre Suisse attend avec impatience la fin du bras de fer avec les Etats-Unis. Père de deux enfants en bas âge, Christos Bagios a passé les 19 derniers mois en résidence surveillée à Miami, bracelet électronique à la cheville. Sa famille a dû hypothéquer un bien immobilier pour avancer les 650 000 francs nécessaires à sa libération sous caution. Il avait adressé une demande de libération conditionnelle, le 1er août dernier, pour se rendre au chevet de sa mère mourante. Sa requête a été refusée lundi dernier par le Département de la justice, qui dit craindre sa fuite. Les enquêteurs américains, semble-t-il, ont encore besoin de ses confidences.