dans Credit Suisse, UBS

Konrad Hummler parlait d’éthique et accueillait les fraudeurs d’UBS

Konrad Hummler était considéré comme un des plus brillants banquiers suisses. Cela ne l’a pas empêché de frauder le fisc américain, et de se faire pincer

«On a envie de lui confier immédiatement son argent», disait de lui le quotidien Le Temps dans un portrait dithyrambique en juin 2010. Le très médiatique associé-gérant de la banque Wegelin, la plus ancienne du pays, unanimement loué pour son «esprit indépendant» et son «bons sens», cultivait une image d’esprit libre qui tranchait dans le monde grisouille et contrit des banquiers suisses. Le Saint-Gallois, s’enthousiasmait Le Temps, «fraie son chemin dans la jungle des marchés» comme un «dernier Winkelried de la place financière» qui «ne craint pas de se jeter dans la mêlée».

Dans la mêlée, Konrad Hummler y est cette fois pour de bon. Mardi, le parquet de New York a inculpé trois de ses collaborateurs. La plainte ne cite pas nommément Konrad Hummler, mais évoque le rôle de plusieurs hauts cadres «co-consiprateurs» accusés d’avoir fraudé le fisc américain pendant des années. Le document raconte comment Wegelin a accumulé près d’un milliard de dollars de fonds non déclarés, de 2005 à 2010, redoublant même d’efforts pour accueillir des fraudeurs alors que les foudres américaines s’abattaient sur UBS, dès 2008.

En quête de «modèles»

Cette même année, celui que la presse surnommait «l’oracle de Saint-Gall» – en référence à Warren Buffett – n’avait pas de mots assez durs pour critiquer les grandes banques, en premier lieu son ancien employeur, UBS, que l’Etat n’aurait selon lui jamais dû sauver de la débâcle des subprimes. «Les banquiers suisses doivent remettre au premier plan l’éthique personnelle, assenait-il dansL’Hebdoen mars 2008. Nous avons besoin de personnes qui constituent des modèles. » Au même moment, des conseillers de son établissement voyageaient incognito à New York, en Californie et en Floride pour vendre des comptes offshore non déclarés à des millionnaires en délicatesse avec le fisc. Tout comme leurs confrères d’UBS, les gérants de Wegelin profitaient sur place d’un réseau de rabatteurs, dont un conseiller financier à New York et d’un avocat à Los Angeles. Le prestigieux établissement saint-gallois n’hésitait pas à ratisser beaucoup plus large, par exemple en louant les services d’un site Internet indépendant, swissprivatebank. com, spécialisé dans l’ouverture rapide et discrète de «swiss bank accounts» en ligne. De 2005 à 2009, les gérants de Wegelin auraient répondu à plus de 100 demandes par l’intermédiaire de ce site. Toujours selon la plainte américaine, «plusieurs associés» de la banque recevaient des rapports semestriels sur les résultats de ces campagnes marketing.

Ouvert sans rendez-vous

En 2008, les clients éjectés en masse par une UBS se sachant coincée se ruaient d’eux-mêmes vers les guichets zurichois de Wegelin & Co. L’enquête du parquet de New York retrace le parcours de dizaines d’Américains qui, ayant fait le voyage depuis les Etats-Unis pour venir en personne fermer leurs comptes chez UBS, n’avaient qu’à remonter 200 mètres à pied depuis le 45 de la Bahnhofstrasse, tourner à droite sur la Poststrasse pour être accueilli à bras ouverts auprès de la «plus ancienne banque de Suisse».

L’afflux est tel que la direction forme un groupe de conseillers, spécialement chargés de recueillir ces Américains déboulant sans rendez-vous. La banque organise des formations, comprenant des jeux de rôle filmés, pour s’assurer que ces gérants transmettent les bons messages aux fraudeurs tétanisés d’UBS. Ils devaient répéter que Wegelin était une petite banque, discrète, qu’elle n’avait pas de succursale aux Etats-Unis et que contrairement à UBS, elle n’était pas mentionnée dans les médias.

La machine se grippe début 2009. En mars, le fisc américain lance un programme de dénonciation volontaire offrant une porte de sortie aux milliers de contribuables qui se savent piégés par les traces qu’ont laissées leurs comptes dans des banques suisses. En quelques mois, 14 000 d’entre eux se dénoncent. En retour, ils livrent à l’IRS des copies de tous leurs documents bancaires. Sur ceux des dizaines de clients de Wegelin qui choisissent de se dénoncer apparaissent les noms des trois gérants offshore. Wegelin s’en rend compte et tente de masquer ces traces en modifiant le format de ses documents internes. Les noms des gérants qui y figurent sont remplacés par l’expression «Team international».

Faux adieux

Le 19 août 2009, lorsque la Suisse s’engage à livrer 4450 noms de clients d’UBS pour sauver la banque des griffes de la justice américaine, Konrad Hummler signe un commentaire d’investissement très remarqué dans lequel il fait ses «adieux à l’Amérique». Officiellement, il ne parlait que du marché des actions, dont il disait vouloir se retirer. Mais ce n’est pas tout. Ce même été 2009, Wegelin se résout aussi à cesser d’ouvrir de nouveaux comptes non déclarés pour des clients américains.

Les «vrais perdants» de l’affaire, prévenait Konrad Hummler dans son commentaire, sont les «personnes concernées qui, en tant que fraudeurs présumés, doivent s’attendre maintenant à des poursuites et auxquelles, il n’y a pas si longtemps que ça, on avait justement promis qu’une telle chose ne se produirait pas. » Cette missive n’était en réalité qu’un faux adieu. Konrad Hummler oubliait de dire que si Wegelin avait choisi de ne plus ouvrir de nouveaux comptes, elle se gardait bien de fermer tous ceux qu’elle avait accumulés. Selon les autorités américaines, Wegelin aurait multiplié par cinq les fonds américains non déclarés dans ses coffres de 2005 à 2010, passant de 240 millions à 1,2 milliard de dollars. La décision de fermer ces comptes n’a été prise qu’en août 2011, soit deux ans presque jour pour jour après les «adieux à l’Amérique» de Konrad Hummler. Ce choix a été signifié aux clients concernés par lettre, avec un délai au 31 décembre dernier.

Pour le Saint-Gallois, la plainte américaine n’est «pas une surprise». C’est ce qu’il a déclaré cette semaine à la Neue Zürcher Zeitung, un journal dont il est d’ailleurs devenu le président en avril dernier. Son principal honneur dans cette affaire, dit-il, est de ne pas avoir mis la faute sur ses trois employés inculpés, comme l’ont fait d’autres banques, notamment Credit Suisse. Wegelin ne les a pas licenciés. «Ce n’est pas notre style», dit à la NZZ Konrad Hummler, qui n’a pas répondu à notre demande d’interview.