dans suisse

La taxe CO2 va servir le lobby des importateurs

Un impôt sur les voitures gloutonnes rendra plus difficile l’importation directe par des particuliers dès 2012. Les indépendants y voient l’influence du puissant lobby Auto-Suisse.

Curieux hasard. Juste au moment où les Suisses commençaient de profiter en masse des prix ultra-attractifs des voitures dans l’Union européenne, voilà que, sous couvert de protection de l’environnement, une loi posera bientôt de nouvelles barrières à ces importations directes. Ce projet, qui appliquera des taxes importantes aux véhicules polluants, devait à l’origine toucher tous les importateurs, petits ou grands. Or, au fil de dispositions introduites ces dernières semaines dans son règlement d’application, il s’avère que les grands importateurs comme AMAG ou Emil Frey profiteront d’importants passe-droits. A tel point qu’il n’est même pas sûr qu’ils paient un sou au final.

Fini les prix cassés?

Les privés, eux, non seulement n’y échapperont pas lors d’un achat à l’étranger, mais ils devront en plus affronter une série d’embûches administratives plutôt décourageantes. Le président de l’Association des indépendants du commerce automobile, Roger Kunz, prévient que l’essor très récent des importations directes – qui auraient dépassé pour la première fois le cap des 10% de voitures neuves vendues en Suisse en septembre – pourrait être stoppé net par l’entrée en vigueur de cette loi en mai 2012.

A cette date, une nouvelle taxe sera appliquée aux véhicules dont les émissions de CO2dépassent 130 grammes par kilomètre. Il en coûtera par exemple 1350 francs pour une modeste Hyundai i30, modèle 1,4 litre essence. Pour une limousine allemande, la douloureuse grimpera au-delà de 15 000 francs. Dur mais juste: jusqu’ici, ce projet de taxe sur les émissions de CO2avait trouvé un large soutien, des écologistes au TCS. L’ordonnance, qui recopie en bonne partie le droit européen, était à l’origine un contre-projet à l’initiative anti-4×4 lancée par les jeunes Verts. En septembre dernier, ceux-ci ont accepté de la retirer en échange de cette taxe.

Sauf qu’entre-temps le diable s’est glissé dans les détails. Les conséquences pratiques de certaines dispositions de l’ordonnance n’apparaissent qu’aujourd’hui, alors que la période de consultation supervisée par l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) vient tout juste de s’achever. Le résultat est un système «très, très compliqué», résume Markus Häfeli, un revendeur de grosses voitures qui s’approvisionne directement dans toute l’Europe. «C’était un coup de génie des importateurs officiels; et personne ne l’a remarqué, observe-t-il. Taxer les émissions de CO2est un bon principe si tout le monde paie de manière égale. Or, en l’état, ce ne sera pas le cas. »

Une Ferrari pour 18 Fiat 500

Une disposition permettra en effet aux grands importateurs de compenser l’impôt dû sur les voitures polluantes par les ventes de petites, moins gloutonnes. Selon ce système, Audi pourra réduire sa taxe en comptant les ventes de Seat. Idem pour Mercedes avec Smart. Ainsi, Ferrari pourra entièrement compenser les 31 000 francs de taxe sur sa vrombissante Gallardo (350 g/km) par la vente de 18 Fiat 500 (110 g/km). Mieux encore pour AMAG et consorts: ceux-ci pourront même s’allier entre concurrents pour réduire leurs taxes. Les petits importateurs qui écoulent moins de 50 véhicules par an ne pourront pas profiter de ces rabais.

Combien tout cela coûtera-t-il au final? Les avis divergent, et pas qu’un peu: selon Andreas Burgener, directeur du groupement des importateurs officiels Auto-Suisse, la facture atteindrait «entre 100 et 170   millions par an», le tout reporté au final sur le client. Mais Roger Kunz, dont l’association a participé à la consultation, assure quant à lui que les importateurs officiels ne paieront rien s’ils utilisent habilement les alliances permises par l’ordonnance.

«Gymkhana bureaucratique»

Ce texte ne se contente pas d’offrir des facilités aux grands importateurs. Il impose aussi un «processus bureaucratique lourd et hostile aux consommateurs», comme l’a récemment dénoncé le TCS. Aujourd’hui, l’opération ne nécessite que peu de formalités. Or voici la procédure telle qu’elle devrait entrer en vigueur dès le mois de mai prochain: «Il faudra d’abord remettre le certificat de conformité (COC3) ainsi que l’indication du numéro d’identification du véhicule (VIN) à l’Office fédéral des routes (OFROU), qui calculera le montant de la taxe, explique Moreno Volpi, porte-parole du TCS.

L’Office enverra ensuite une facture à l’acheteur, qui devra s’en acquitter et fournir la preuve du paiement pour obtenir ses plaques au Service des automobiles. » A noter que ces tracasseries s’appliquent aussi aux voitures qui émettent moins de 130 g/km, pour lesquelles aucune taxe n’est due. «Tel qu’il est prévu, ce gymkhana bureaucratique freinera les importations directes, et limitera donc le libre choix des consommateurs», observe Moreno Volpi.

Les amis d’Auto-Suisse

Comment des dispositions apparemment aussi favorables aux importateurs ont-elles pu s’introduire dans le texte final de l’ordonnance? «Auto-Suisse a été très efficace dans ce dossier, non seulement durant toute la période de consultation mais aussi avant, auprès des parlementaires», note un témoin des négociations qui souhaite garder l’anonymat.

Lors des dernières élections fédérales, Auto-Suisse soutenait officiellement pas moins de 141 UDC, 59 PLR, 30 PBD, 12 PDC et 7 divers. Face à ce rouleau compresseur, «l’association des indépendants de Roger Kunz ne faisait pas le poids», note notre source. Ces accusations sont «totalement absurdes», tonne Andreas Burgener, qui assure s’être battu pied à pied contre cette ordonnance. Il reconnaît que le texte compliquera les importations directes par des privés et de petits garages, mais ces dispositions seraient selon lui le seul fait des fonctionnaires de l’OFEN, qui auraient «bricolé» sur la base du droit européen.

De leur côté, les jeunes Verts auteurs de l’initiative anti-4×4 se défendent d’avoir été roulés dans la farine. «Au contraire, c’est une victoire!» s’enthousiasme Bastien Girod, conseiller national Vert zurichois. «Les importateurs seront enfin réellement incités à vendre des voitures peu polluantes. » A ses yeux, les tracasseries imposées aux particuliers ne sont qu’un «effet collatéral» regrettable, mais secondaire.

La ministre de l’Environnement, Doris Leuthard, devrait valider l’ordonnance concoctée par l’OFEN dans les prochaines semaines. En attendant cette issue, l’Office n’a pas souhaité faire de commentaires.