dans Credit Suisse

En jurant ne rien savoir de la fraude, Brady Dougan a tenté un incroyable coup de poker. Ce pari se retourne maintenant contre lui, plongeant Credit Suisse dans une situation inextricable.

Cette semaine, le comptable Josef Dörig, 72 ans, a quitté sa maison de Wollerau, sur les rives du lac de Zurich, et s’est envolé pour Washington. Il est descendu à l’hôtel Westin.

Mardi, il a marché jusqu’à l’immeuble de briques rouges du Tribunal d’Alexandria, et s’est officiellement rendu aux autorités américaines.

Sur le conseil de ses avocats, il a signé une déclaration de 17 pages dans laquelle il reconnaît avoir sciemment violé le droit des Etats-Unis, et aidé des centaines de clients à en faire autant.

Josef Dörig était entré chez Credit Suisse comme apprenti en 1962. Il avait 19 ans. Après ces cinq décennies de fidélité et de discrétion, il va maintenant raconter tout ce qu’il sait.

Et il n’est pas le seul. Car depuis deux mois, les langues des banquiers de Credit Suisse se délient, toutes en même temps. Ironie de l’histoire: c’est Brady Dougan qui a provoqué cette situation.

En jurant ne rien avoir su de la fraude, lors de son audition devant le Sénat fin février, et en mettant la faute sur une «poignée d’employés voyous», le CEO de Credit Suisse a provoqué la débandade.

«Le message ne pouvait être plus clair, résume un ex-cadre: il nous a fait comprendre qu’il allait nous mettre la tête sous l’eau pour sauver la sienne.»

La seule issue qu’il restait à ces employés était de tout déballer, et vite. Les Américains se sont engouffrés dans la brèche en redoublant de pressions, menaçant la banque de nouvelles poursuites pénales.

Résultat: quinze jours après la prestation de Brady Dougan devant le Sénat, Andreas Bachmann, 56 ans, faisait le voyage à Washington pour raconter comment ses chefs lui avaient ordonné de se débrouiller «pour ne pas se faire prendre».

A son tour, Josef Dörig expliquera maintenant comment la petite société qu’il a fondée en 1997 avec l’avocat genevois Jean Patry, sur demande de Credit Suisse, n’avait pas d’autre objectif que de fournir à la chaîne des sociétés offshore et des trusts pour cacher l’identité de centaines de clients fraudeurs. Et ce n’est qu’un début.

Après les deux Suisses allemands, d’autres anciens cadres de Credit Suisse négocient maintenant activement les conditions de leur reddition avec les autorités américaines.

Curieusement, ce n’est peut-être pas les confessions de ces banquiers suisses qui causeront le plus de tort à la grande banque. Car la menace de nouvelles poursuites pénales pousse même le haut management américain de la banque à passer à table, et à dénoncer le siège de Zurich.

Mercredi, le lendemain des aveux de Josef Dörig, le Financial Times a révélé que l’ancien patron de la gestion de fortune aux Etats-Unis, l’Américain Anthony DeChellis, avait lui aussi dénoncé sa hiérarchie auprès des autorités.

L’efficacité de ce feu d’artillerie donne raison au sénateur Carl Levin, qui reprochait au Département de la justice de ne pas attaquer Credit Suisse avec assez de vigueur. Les négociations ont assez duré, la manière forte est la seule qui fera bouger les Suisses, expliquait-il en substance lors de l’audience de février.

Carl Levin martelait qu’après trois ans de procédure, les Etats-Unis n’avaient obtenu que 238 noms sur les 22 000 fraudeurs que Credit Suisse abritait en 2006. Le sénateur républicain John McCain avait qualifié ce résultat de «plaisanterie».

Le 19 février 2009, les Etats-Unis avaient obtenu des noms de clients d’UBS en menaçant d’inculper la banque et en donnant à la Suisse un ultimatum de quelques heures. La FINMA s’était exécutée, en toute illégalité, en livrant en urgence un premier lot de données sur un CD à l’ambassade américaine à Berne.

Cinq ans plus tard, la pièce semble se rejouer, acte après acte. La conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf s’est rendue vendredi à Washington avec Jacques de Watteville, le secrétaire d’Etat aux questions financières internationales. Ils ont rencontré le ministre de la Justice Eric Holder.

Les Suisses répètent qu’ils ne peuvent rien faire tant que les Etats-Unis n’auront pas signé la convention fiscale de 2009, qui permettrait de livrer les noms en toute légalité. Les Américains ne se contentent pas de cet argument, puisque la convention ne leur donnerait de toute façon pas accès aux comptes clôturés avant 2009.

Joint samedi, le Département fédéral des finances n’a pas souhaité faire de commentaire.