Une riche famille américaine flouée par l’escroc Brian Callahan porte plainte à Genève pour escroquerie. Elle accuse la banque privée de graves manquements.
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Cet article est paru dans Le Matin Dimanche du 4 mai 2014.
Les Cordish de Baltimore, c’est un peu Dallas en version côte est. David, le patriarche, est le petit-fils de Louis, le fondateur. Ses trois fils, Jon, Blake et Reed, dirigent chacun une division du groupe, sous la houlette de leur père.
Établi dans le Maryland depuis 1910, The Cordish Companies est un des principaux groupes américains de construction et de promotion immobilière, en diversification rapide. En 2012, David Cordish avait montré son intérêt pour racheter le quotidien Baltimore Sun, mais l’opération ne s’était finalement pas faite.
En septembre dernier, les Cordish ont déposé une plainte pénale devant le Ministère public du canton de Genève à l’encontre de Pictet & Cie et de Brian Callahan, un gérant de fortune indépendant de 43 ans.
L’Américain a reconnu avoir siphonné près de 100 millions de dollars sur les comptes d’une quarantaine de clients pour s’acheter des voitures de luxe, payer ses notes de cartes de crédit, les cotisations de son club de golf et surtout pour renflouer l’hôtel en difficulté qu’il détenait avec son beau-frère à Long Island.
Inculpé par la justice américaine en juillet 2013, Brian Callahan a plaidé coupable mardi. Il risque 40 ans de prison.
Au moins six clients de Pictet figurent parmi ses victimes. Les Cordish ont perdu 11 millions de dollars, soit la totalité des fonds qu’ils avaient déposés auprès de la banque privée. Le 13 avril, «Le Matin Dimanche» avait révélé le cas d’un autre client floué, Jerry Ostry. Atteint d’une grave maladie, cet ancien trader de Chicago reconverti dans les cours d’éthique en Floride a choisi d’attaquer la banque suisse et ses associés devant un tribunal arbitral aux Etats-Unis.
Les Cordish, eux, ont fait le voyage jusqu’à Genève, où David et son fils Jon ont longuement témoigné devant le procureur Dario Zanni.
«Pictet était le gardien de nos fonds, et avait le devoir de les sauvegarder, explique David Cordish au «Matin Dimanche» depuis le siège du groupe à Baltimore. Nos comptes étaient parfaitement déclarés à l’Internal Revenue Service, et tous les impôts applicables ont été dûment payés, précise-t-il. Nous pensons que Pictet & Cie pouvait et devait prévenir les pertes dont nous avons été victimes, avec d’autres. Nous avons toute confiance en la justice helvétique.» Les avocats genevois de la famille Cordish, Charles Poncet et Pierre Ducret, n’ont pas souhaité s’exprimer.
Comme celle de Jerry Ostry aux Etats-Unis, la plainte des Cordish évoque une longue liste de dysfonctionnements au sein de la banque privée, qui «savait ou aurait dû savoir» que derrière son gérant externe Brian Callahan se cachait un apprenti Madoff.
«Utilisant de manière honteuse les pouvoirs de gestion qui lui avaient été conférés au moyen des formulaires préparés par Pictet, accusent les Cordish dans leur plainte, Callahan a ordonné le transfert de la quasi-intégralité des avoirs» vers le compte d’une société écran inscrite dans les îles Vierges, sous la forme «d’investissements» dans deux «fonds» entièrement contrôlé par lui. Ces «fonds» fictifs n’étaient autorisés à la vente ni aux Etats-Unis, ni en Suisse.
Plus surprenant encore: il s’avère qu’en 2009, soit trois ans avant qu’il ne se mette à piller les comptes des Cordish chez Pictet, l’autorité américaine en charge de la surveillance des intermédiaires financiers avait radié à vie Brian Callahan suite à une affaire de faux dans les titres.
Les Cordish estiment que Pictet ne pouvait ignorer cette situation. Ce qui, selon eux, démontre que la banque genevoise était «soit un participant volontaire» de la fraude de Callahan, «soit prenait des mesures à même de dissimuler sa découverte».
Le lendemain de l’annonce des premières poursuites des régulateurs américains contre Callahan, en mars 2012, Pictet avertissait les Cordish que la valeur de leurs comptes était soudain «réévaluée» de 11 millions de dollars à… zéro.
La plainte des Cordish est prise très au sérieux par le Parquet genevois. Plusieurs employés de la banque ont déjà été entendus. Le procureur Dario Zanni confirme aussi avoir adressé une commission rogatoire aux autorités américaines le 18 mars dernier.
Cette requête devrait permettre à un représentant du Ministère public genevois de se rendre aux Etats-Unis pour interroger Brian Callahan sur la nature exacte de ses liens avec Pictet et certains de ses employés. «Nous attendons maintenant la réponse du Département de la justice», indique Dario Zanni.
Frank Renggli, porte-parole de Pictet, n’a pas souhaité faire de commentaires sur la procédure juridique en cours. «Cependant, précise-t-il, comme pour toutes les affaires liées à Brian Callahan, nous tenons à souligner encore une fois que nous considérons toutes les allégations à notre encontre comme dépourvues de tout fondement en droit et en fait. Nous sommes pleinement confiants sur l’issue finale de cette affaire. »