La boulimie de créances américaines des deux grandes banques commence d’inquiéter à Berne.
On prend les mêmes et on recommence. Quatre ans après le début de la crise des «subprimes», la machine à titriser repart de plus belle aux Etats-Unis. Les deux banques suisses trop grandes pour faire faillite sont aux premières loges pour en profiter. Le Credit Suisse et UBS ont émis un nombre record de produits titrisés adossés à ces crédits immobiliers américains cette année.
Mardi dernier, UBS a annoncé la mise sur le marché d’un nouveau paquet de 1,5 milliard de dollars de crédits liés à des supermarchés et des hôtels au Texas, en Californie et dans l’Ohio. A peine une semaine plus tôt, le 30 novembre, le Credit Suisse a émis un paquet de 330 millions de dollars adossé à des créances hypothécaires sur des maisons individuelles. Des experts affirment que ces nouveaux produits seraient encore plus dangereux que ceux ayant conduit à la crise de 2008.
Cette boulimie de créances américaines commence à inquiéter à Berne. Dans une interpellation déposée mercredi, le conseiller national socialiste Jean-Christophe Schwaab demande des explications. Il souhaite notamment savoir si ces activités de titrisation ont été annoncées à la Finma, si elles font l’objet d’une surveillance particulière du régulateur et, de manière générale, «ce que pense le Conseil fédéral du fait qu’UBS retombe dans les travers qui l’ont mené au bord de la faillite en 2008. » Président romand de l’Association suisse des employés de banque (ASEB), Jean-Christophe Schwab craint que l’histoire ne se répète, au détriment des salariés des deux grandes banques.
Une autre voix, plus inattendue, s’est élevée cette semaine pour prévenir du danger: celle de l’agence de notation américaine Fitch. Ses experts ont ouvertement critiqué le dernier produit mis en vente par le Credit Suisse, contestant la validité de sa note AAA accordée par Standard & Poors. Ce genre de remises en cause entre agences concurrentes est rarissime. C’est que la dernière émission de 330 millions du Credit Suisse, dont 310 millions sont libellés «sans risques» par S&P, contient des dispositions particulières qui augmentent le risque pour les investisseurs.
«Fitch reproche la concentration géographique des prêts ainsi que la structuration de l’émission qui ne protège pas suffisamment les tranches AAA du pool», décode Dominique Morisod, ancien banquier d’affaires et partenaire de Threestone Capital à Genève. Vingt pour-cent des crédits hypothécaires rassemblés par le Credit Suisse sont concentrés dans l’agglomération urbaine de Washington, une zone durement touchée par les coupes dans le budget fédéral américain.
Un autre point noir concerne l’assurance qui permet aux investisseurs de se retourner contre la banque émettrice si ses affirmations sur la qualité des crédits venaient à être contestées. Contrairement à ses deux dernières émissions, le Credit Suisse a soudain choisi de réduire la durée de cette garantie à 36 mois, alors que les créances qui composent son produit s’étendent sur 30 ans. Standard & Poors reconnaît le caractère «non traditionnel» de ces conditions, mais le justifie par une réduction des frais juridiques. Troisième danger: le niveau de protection contre une vague de faillites. «Les tranches AAA sont censées protéger les investisseurs d’une perte de valeur de 45% des prêts, alors que cette assurance avant la crise se montait à 60%, note Dominique Morisod. C’est donc un produit encore plus risqué pour les investisseurs que les prêts qui ont conduit à l’effondrement de 2008. »
Interrogée, la Finma n’a pas souhaité prendre position sur les dernières transactions d’UBS et du Credit Suisse. Ces émissions de créances titrisées se multiplient alors que les prévisions des économistes sont très pessimistes, observe Dominique Morisod. «Les derniers chiffres sur la production aux Etats-Unis sont horribles, pointe-t-il. L’euphorie boursière ne doit pas faire oublier la réalité économique et sociale. Il faut retrouver rapidement le sens des réalités et éviter que certaines erreurs ne se répètent alors que l’économie et les rentrées fiscales subissent toujours la crise de 2008. »