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Menaces sur le havre suisse des pétroliers iraniens

L’étau se resserre sur Naftiran, filiale de la compagnie pétrolière nationale iranienne basée à Lausanne. Ses dirigeants créent de nouvelles sociétés pour échapper aux sanctions internationales

C’est devenu une tradition. Une fois leur mandat accompli au pays, les grands patrons de la société pétrolière nationale iranienne viennent passer quelques années à Pully. Loin de l’étouffante Téhéran et des effluves âcres des puits de Beshahr, ils aiment y vivre dans de grands appartements modernes sur les hauts de Lausanne, toujours avec vue sur le lac.

Les pressions internationales qui s’accentuent contre l’Iran et son secteur pétrolier menacent de mettre un terme à ces expatriations dorées de hauts dignitaires de la République islamique. Elles pourraient aussi bientôt embarrasser la Suisse.

La société Naftiran Intertrade (NICO), établie à Lausanne depuis près de dix ans, a été placée sous embargo par les Etats-Unis en 2008 pour ses liens avec le gouvernement iranien. Formellement, la société lausannoise était jusqu’ici contrôlée par une société boîte aux lettres à Jersey, dans les îles Anglo-Normandes. Ce montage a permis pendant des années à la compagnie iranienne de prendre des participations dans des champs pétroliers et de financer ses activités de trading depuis la Suisse en échappant aux effets de l’embargo américain.

Ce système a commencé de se lézarder fin janvier, avec l’introduction par l’Union européenne d’un embargo pétrolier contre l’Iran. La Suisse n’a pas encore décidé si elle suivrait cette mesure, mais la pression européenne n’a pas tardé à se faire sentir à Pully. En septembre dernier, la société-écran de Jersey a été contrainte de déguerpir. Selon l’agence Reuters, qui a révélé l’information il y a dix jours, la présence même indirecte des Iraniens dans leur dépendance était devenue trop embarrassante pour le gouvernement britannique.

Ce coup de balai a contraint Naftiran à changer l’adresse de sa société mère. La compagnie pulliérane est désormais détenue par une nouvelle offshore, inscrite dans un paradis fiscal plus tolérant envers l’Islam, sur l’île de Labuan, en Malaisie.

Avant ce déménagement forcé, les dirigeants du secteur pétrolier iranien avaient déjà pris une autre précaution. En avril 2011, les patrons de Naftiran ont créé une nouvelle société de droit suisse dont les contours ne laissent cette fois plus du tout deviner les origines perses. La nouvelle entité a été baptisée Petro Suisse Intertrade Company SA. Contrairement à ce que laisse supposer son logo en forme de petite Suisse toute rouge, celle-ci n’a jamais écoulé une goutte de pétrole dans le pays et n’a de suisse que l’adresse du notaire où ont été signés ses statuts.

Le président de Petro Suisse n’est autre que Jashnsaz Seyfollah, patron actuel de Naftiran et ancien directeur exécutif de la compagnie d’Etat, dont la forte personnalité intriguait les diplomates américains en 2008. Cité dans un câble publié par WikiLeaks (08TOKYO2188), un haut fonctionnaire japonais qui l’avait rencontré décrivait Jashnsaz Seyfollah comme «nationaliste», «agressif» et «difficile à gérer». L’épisode avait laissé le Japonais «pas très optimiste» sur l’avenir du secteur pétrolier iranien.

Ce n’est pas la première fois que les dirigeants de Naftiran tentent de créer de nouvelles filiales en Suisse. Une précédente tentative a d’ailleurs mal tourné. Deux ans après les sanctions imposées à Naftiran, en 2010, les Etats-Unis avaient épinglé une autre société suisse, Pearl Energy Services SA. Elle avait été fondée un an plus tôt par le prédécesseur de Jashnsaz Seyfollah, Majid Razavi Hedayatzadeh.

Contrairement à Naftiran, les sanctions américaines contre Pearl Energy ont été reprises par l’Union européenne en mai 2011, ce qui a contraint la Suisse à réagir. Avec six mois de retard sur l’UE, en novembre 2011, le Secrétariat d’Etat à l’économie a finalement inscrit le nom de Pearl Energy sur la liste des entités visées par des sanctions en Suisse (pdf). La société, qui se présentait comme une «entreprise suisse indépendante» et entièrement détenue par des «résidents suisses» a été placée en liquidation le 19 janvier dernier et son numéro de téléphone n’est plus attribué.

D’un jour à l’autre, une ligne ajoutée sur la liste des sanctions européennes pourrait contraindre Naftiran et sa sœur Petro Suisse à partager le même sort. Et le tempétueux Jashnsaz Seyfollah à quitter son doux refuge helvétique.