dans UBS

Number One Cartel

Riche homme d’affaires mexicain, Francisco Cessa, alias Pancho, gérait en réalité les affaires du sanguinaire cartel mexicain, connu pour démembrer ses victimes vivantes avant de les exécuter. Son magot personnel, le comptable des Zetas l’avait confié à UBS, qui ne se doutait de rien.

Le scénario semble droit sorti des années 80. Ne manque plus que Sony Crockett, veston en lin sur un T-shirt mauve, le regard impénétrable filant sur Brickell Avenue au volant d’une Testarossa décapotable.

Oubliez «Miami Vice». Dans l’histoire vraie de Francisco Colorado Cessa, alias Pancho, les Mexicains sanguinaires ont remplacé les Colombiens de Medellín, qu’ils feraient passer pour d’aimables brigands de campagne.

Ne reste plus qu’un point commun entre les barons de la drogue d’hier et d’aujourd’hui: le goût pour les comptes garnis de billets verts, bien au chaud dans une grande banque suisse.

Pancho s’est rendu aux autorités mexicaines après une série de coups de filet qui ont conduit à l’arrestation de dizaines de membres des Zetas en juillet 2012.

Sous couvert d’une entreprise de services pétroliers au succès aussi impressionnant que rapide, l’homme d’affaires gérait en réalité les affaires de José Treviño Morales, frère et associé de Miguel Ángel Treviño Morales, le chef suprême du cartel.

Les chefs de l’organisation criminelle la plus puissante du Mexique ne sont pas tombés dans un règlement de comptes avec leurs ennemis du cartel de Sinaloa. Les frères Treviño Morales et leur trésorier, Pancho, ont été victimes de leur goût immodéré pour les chevaux.

Le cartel blanchissait des dizaines de millions de dollars dans les courses de «quarter horse», très populaires dans le sud des Etats-Unis et en particulier au Texas. Au moins dès 2004 et crescendo, les Mexicains achetaient les plus beaux sprinters, encaissant des millions de dollars de prix et développant un business florissant de reproduction.

Enhardis par ces succès, les Zetas ont fini par baisser la garde. En mai 2011, alors que les autorités mexicaines désignaient Miguel Ángel Treviño comme le responsable du massacre de 49 personnes retrouvées décapitées sous un pont d’autoroute à Mexico, son frère José paradait avec ses pur-sang à Los Alamitos, un des plus prestigieux champs de course des Etats-Unis.

Les Mexicains se piquaient au jeu, allant jusqu’à baptiser leurs chevaux «Number-One-Cartel» ou «Devine-Cartel». Les Treviño Morales avaient déjà failli tomber pour l’un d’entre eux, «Tempting Dash».

Le magnifique étalon, qui avait tapé dans l’œil du leader des Zetas appartenait à un jeune Mexicain désargenté mais fou de courses, Ramiro Villarreal. Miguel Ángel Treviño lui avait alors proposé de devenir son sélectionneur attitré.

Les agents du service antidrogue américain, la DEA, étaient parvenus à retourner Ramiro Villarreal, lui offrant une immunité s’il parvenait à faire entrer Miguel Ángel Treviño aux Etats-Unis, pour mieux l’arrêter. Raté. Quelques semaines après avoir accepté ce deal, Ramiro Villareal était retrouvé carbonisé dans la banlieue de Nuevo Laredo.

Voyant Miguel Ángel leur échapper, les Américains se sont alors intéressés aux affaires équestres de son frère, José. Le vaste coup de filet conjoint du FBI et de la DEA est intervenu en juillet 2012. Chef d’accusation: le blanchiment savamment orchestré de plus de 60 millions de dollars.

C’est en remontant la piste des achats de chevaux que les autorités américaines se sont intéressées à Francisco Colorado Cessa et à ses comptes en banque. Le 30 août dernier, le Tribunal d’Austin a ordonné le blocage de quatre comptes chez UBS à Miami.

Pancho les avait ouverts, d’abord au nom de sa société, ADT Petroservicios, puis sous son nom et celui de son épouse, en décembre 2009 et en novembre 2010. Francisco Cessa y avait rapidement transféré des millions de dollars par virements depuis deux banques mexicaines, la Banco Monex et la Banamex.

Au 29 août 2013, le solde des comptes se montait à 25 millions de dollars. Les revenus de ce client semblaient si réguliers qu’UBS n’a pas hésité à lui offrir un crédit pour l’achat d’un jet privé à 4,5 millions de dollars en janvier 2012.

Puis la banque a compris le problème. «Les preuves accumulées montrent qu’ADT Petroservicios blanchissait l’argent des Zetas et que les revenus de l’organisation criminelle servaient à les alimenter de manière substantielle», indique l’ordre de saisie rendu public fin août.

Jeudi dernier, Francisco Cessa a été condamné à 20 ans de prison, la peine maximale pour blanchiment.

L’ouverture des comptes et les transactions de ce client ont fait l’objet de procédures rigoureuses
Karina Byrne, porte-parole d’UBS

Interrogée samedi par «Le Matin Dimanche», Karina Byrne, porte-parole d’UBS à New York, a indiqué samedi que la banque «n’avait aucune connaissance des activités criminelles de M. Cessa ou de son entreprise. L’ouverture des comptes et les transactions de ce client ont fait l’objet de procédures rigoureuses», poursuit-elle.

Les «sources d’informations publiques» à disposition de la banque pour vérifier le pedigree de son client ne laissaient rien entrevoir de suspect, explique encore Karina Byrne.

«La firme de M. Cessa, ADT Petroservicios, était une des principales sociétés d’assainissement de champs pétroliers et comptait comme clients la société nationale PEMEX et d’autres sociétés internationales», explique encore UBS. Ces affaires généraient des «revenus légitimes importants».

Pancho Cessa blanchissait l’argent des Zetas au moins depuis 2004. Le FBI le soupçonne d’avoir utilisé une partie de ces fonds pour corrompre un candidat au poste de gouverneur de l’Etat de Veracruz. C’est après cette élection réussie que la société ADT Petroservicios aurait reçu ses plus juteux contrats avec la société nationale PEMEX.

Une analyse poussée des comptes d’ADT chez UBS conduite par un agent spécial de l’IRS a montré que l’entreprise ne disposait pas de fonds en suffisance pour conduire ses propres activités et acheter simultanément des chevaux de course. «Cet élément corrobore le fait que les Zetas utilisaient ADT pour blanchir les revenus de la vente de drogue», affirme l’acte de saisie.

Selon Karina Byrne, les autorités américaines n’ont formulé aucune «allégation» à l’encontre de la banque ou de ses employés.

UBS n’a rien à craindre du gendarme suisse des banques dans cette affaire. «Les délits de blanchiment d’argent commis à l’étranger doivent être poursuivis par les autorités pénales et de surveillance du pays en question», explique un porte-parole de la FINMA.

Le conseiller UBS, Ricardo Barrera, a été appelé à la barre lors du procès. Pancho était un de ses plus gros clients. Il a indiqué ne pas avoir eu connaissance de ces achats de chevaux, qui étaient de toute manière une «affaire privée».

Lors de son procès, Pancho a expliqué qu’il voulait soutenir un programme de thérapie par l’équitation pour les «enfants autistes» au Mexique. Il a changé de version peu avant sa sentence, jeudi, disant qu’il était «impossible de dire non» aux frères Morales.

L’histoire aurait pu se terminer là. Mais c’était sans compter les incroyables ressources de Francisco «Pancho» Cessa.

Jeudi, quelques heures après la condamnation de son père, le FBI passait les menottes à Francisco Colorado Cessa Jr. Dans son acte d’inculpation rendu public vendredi, les autorités l’accusent d’avoir tenté de corrompre le juge d’Austin.

Le FBI a découvert ce plan de dernière minute il y a quelques jours seulement en écoutant les conversations téléphoniques entre le fils et son père en prison.

Les policiers ont aussitôt mis dans leurs pattes un agent sous couverture, se faisant passer pour un ex-taulard dont le beau-frère jouait au golf avec le juge Sparks.

L’acte d’accusation indique que mardi dernier, Pancho Jr avait rencontré la taupe dans un Starbucks, évoquant le montant de 1,2 million de dollars. «L’argent n’est pas un problème», aurait dit le jeune Cessa au flic sous couverture.

Il fallait juste attendre 48 heures, disait-il, «parce que les banques américaines demandent ce délai pour les grosses sorties d’argent».

Selon ce plan, le juge Sparks devait prononcer le mot «golf» durant l’audience pour signaler qu’il acceptait l’offre. La scène ne s’est pas jouée, puisque le magistrat n’avait été informé de rien au moment de rendre le verdict. Il a découvert l’existence du plan vendredi, après l’arrestation de Francisco Colorado Cessa Jr.

Le fils pourrait maintenant rejoindre son père sous les barreaux pour cinq longues années.

 

MIAMI, LA GRANDE LESSIVEUSE LATINO

Si les banquiers suisses ont perdu leur chapeau dans la tempête fiscale internationale, les palmiers n’ont pas bougé de l’autre côté de l’Atlantique. Miami reste la capitale indétrônable de l’évasion fiscale.

Profitant d’une législation particulièrement douce, les grandes banques américaines continuent d’y accueillir sans aucun problème les fortunes non déclarées qui fuient en permanence l’Amérique latine. Parmi les établissements friands de clientèle «offshore», UBS figure en bonne place.

La banque suisse dispose d’une filiale spécialement dédiée à la clientèle latino «non résidente». UBS International, qui dispose de bureaux à Coral Gables et à New York, a été créée en 2002. Elle était placée sous la responsabilité de Martin Liechti, l’ex-chef de Bradley Birkenfeld qui dirigeait toutes les activités de gestion «offshore» d’UBS, avant son arrestation, à Miami, en 2008.

A l’époque, le cadre d’UBS regrettait le fait que les équipes de gérants «offshore» de Genève, Zurich, New York et Miami n’entretenaient presque aucun contact. Peu avant son arrestation, il tentait de mettre en commun leurs forces pour créer des «synergies».

Ces plans ont été stoppés net avec l’éclatement du scandale de fraude fiscale touchant UBS.

Les équipes de gérants «offshore» en Suisse ont été rapidement démantelées. Mais, à Miami, les affaires n’ont jamais cessé.

En tant que citoyen mexicain, Francisco Colorado Cessa était un client d’UBS International, comme le confirme Karina Byrne, porte-parole de la grande banque.

Des nuages se lèvent toutefois au large de Key West. Un projet de loi visant à imposer plus de contrôles aux banques a été déposé le 1er août 2013 par le sénateur démocrate Carl Levin, et la coopération avec les fiscs étrangers a été renforcée.

Un jour peut-être, les Etats-Unis auront, eux aussi, à dénoncer les fraudeurs hébergés par leurs banques.

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