Impliquée dans un cas de fraude aux Etats-Unis, Pictet & Cie a donné l’ordre à ses gérants de s’assurer que leurs clients américains sont tous en règle avec le fisc. La banque prend des mesures pour déclarer automatiquement leurs comptes à l’IRS. La Banque Migros fait de même.
Les gérants de Pictet & Cie ont reçu l’ordre de vérifier le statut fiscal de leurs clients américains. Un porte-parole de l’établissement a confirmé l’information vendredi au «Matin Dimanche». La banque privée a pris des mesures pour que les données de l’ensemble de ses clients américains puissent être transmises de manière automatique au fisc des Etats-Unis (IRS). Les clients n’y échapperont que s’ils fournissent «au plus vite» une déclaration de conformité fiscale.
«Le Matin Dimanche» a révélé la semaine dernière que le nom de Pictet était apparu dans une enquête du Département de la justice pour fraude fiscale ouverte contre deux clients de la banque. Pictet affirme que ces mesures n’ont «aucun rapport» avec cette affaire. Selon le porte-parole Frank Renggli, ces dispositions ont été prises au «début de 2012».
Les deux clients de Pictet et l’avocat qui leur servait d’intermédiaire ont été inculpés le 30 janvier dernier. Les instructions ont été transmises aux gérants externes partenaires de Pictet durant le mois de mars, précise encore la banque. Le responsable de la division dédiée à ces apporteurs d’affaires, Rémy Obermann, a personnellement averti certains d’entre eux.
L’opération consiste à introduire au moins un papier-valeur américain dans les portefeuilles de tous les clients assujettis au fisc des Etats-Unis. La transaction, par exemple l’achat d’une action ou d’un bon du Trésor, provoquera la transmission automatique d’un code d’identification du client (Taxpayer Identification Number) vers l’établissement dépositaire de Pictet aux Etats-Unis, la banque d’affaires Brown Brothers Harriman. L’IRS aura ainsi librement accès à ces informations.
Pictet avait déjà exigé la signature d’un document fiscal américain, le formulaire W-9, en octobre 2009. Mais cette procédure ne prévoyait pas la transmission automatique du numéro de compte à l’IRS tant que le client s’abstenait de détenir des titres américains. Ce sera désormais le cas.
Frank Renggli confirme que l’opération vise à «s’assurer de la conformité fiscale des clients ayant, selon la législation américaine, signé un formulaire W-9 mais ne détenant pas de titres américains». Il précise que cette initiative va «au-delà des obligations qu’impose la loi américaine». Toujours selon lui, ces dispositions doivent être considérées comme de simples précautions.
Pictet n’est pas la seule à vouloir éclaricir rapidement le statut fiscal de ses clients. Il apparaît que la Banque Migros vient de prendre des mesures en tous points similaires. Dans un courrier daté du 23 avril dont le «Matin Dimanche» a obtenu copie, la banque orange se dit «prête à poursuivre des relations avec des clients imposables aux Etats-Unis». A une condition: qu’ils détiennent une action américaine.
«La déclaration d’une relation bancaire aux Etats-Unis dépend aujourd’hui de la présence de titres américains», explique la lettre en préambule. La banque orange ne laisse pas le choix à ses clients: elle leur impose l’achat d’une action General Electric, et pas une autre. «Nous allons acheter cette action pour vous», précise la Banque Migros. Le titre coûte environ 19 dollars, et les «tarifs en vigueur» seront perçus sur cette transaction forcée. Si l’établissement n’obtient pas l’accord écrit du client d’ici début juillet, ses comptes seront aussitôt clôturés et ses éventuels crédits hypothécaires résiliés.
Contrairement à la Banque Migros, la mesure prise par Pictet n’a pas fait l’objet d’une communication écrite aux clients. Les gérants sont chargés de leur annoncer la nouvelle. Pictet dit vouloir agir «au cas par cas et avec souplesse». «Nous ne traitons pas nos clients avec une présomption de culpabilité», conclut la banque. Elle les enjoint toutefois à répondre rapidement à sa demande.
Des experts interrogés par «Le Matin Dimanche» s’étonnent du fait que Pictet ait pu tolérer des virements de plusieurs millions de dollars entre la Suisse et les Etats-Unis sur les comptes des deux clients d’Arizona, et ce jusqu’à l’automne 2008. L’un d’eux avait poussé l’imprudence jusqu’à s’offrir un terrain de golf dans le Colorado, en novembre 2008, avec ses fonds non déclarés chez Pictet. Selon les experts, les banques suisses conaissaient les risques que faisaient courir ce genre de transactions au moins depuis l’été 2008. Le fait que les deux clients venaient de quitter UBS aurait aussi dû alarmer Pictet, estiment-ils.
S’exprimant cette semaine dans l’hedomadaire «Finanz und Wirtschaft», l’associé Nicolas Pictet a indiqué que la banque ne savait pas, à l’époque que, que ces deux clients avaient été chassés d’UBS. «Nous étions persuadés que ces fonds ne posaient pas de problèmes», a-t-il ajouté.