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Procter et Ferrero se moquent du franc fort et ne lâchent rien

Coop a obtenu des baisses de prix sur des centaines d’articles depuis août dernier. Deux fabricants lui ont ri au nez: le géant Procter & Gamble et la toute-puissante firme italienne Ferrero, inventeur du Nutella.

Dans les rayons de la Coop, la lutte se poursuit centimètre par centimètre. Les étiquettes rouges annonçant des «baisses de prix spéciales euros» n’ont cessé de gagner du terrain dans les étals depuis le lancement en août dernier de l’opération «Non aux profiteurs du taux de change». Reste pourtant une poignée d’irréductibles, qui refusent encore et toujours de reporter l’avantage du franc fort à leurs clients. Parmi ces entreprises figurent les détenteurs de certaines des marques les plus puissantes de l’univers de la grande distribution, pour qui les pressions d’une chaîne comme Coop, dont la part de marché dépasse les 50%, n’ont l’effet que d’aimables chatouillis.

Deux irréductibles

Sur les fabricants des quelque 800 articles visés, certains avaient cédé presque immédiatement, comme Mars avec son riz Uncle Ben’s. D’autres n’ont plié que partiellement, comme Unilever, qui accorde des rabais sur certaines lessives mais pas sur ses produits vaisselle. L’Oréal, après avoir mis les pieds au mur pendant neuf semaines, devrait abandonner d’ici à quelques jours. Nestlé a sabré les prix de 170 produits, mais n’a pas complètement joué le jeu non plus(lire ci-contre).

A ce jour, seuls deux géants refusent encore ostensiblement de lâcher ne serait-ce qu’un franc sur leurs gains de change. Le premier est l’américain Procter & Gamble, 80   milliards de dollars de chiffre d’affaires et dont le siège européen emploie près de 3000 personnes à Genève. Le second est l’entreprise familiale Ferrero, établie à Alba, dans le Piémont, inventeur du Nutella, des barres Kinder et des bonbons Tic Tac. Le patriarche Michele Ferrero a dépassé Silvio Berlusconi au rang de la plus grande fortune d’Italie en 2008. Le bas de laine familial des Ferrero était estimé à 17   milliards de dollars par Forbes en 2010.

Outre le secret jalousement gardé du mélange de noisettes et de cacao, la recette de ce succès relève avant tout d’une stratégie économique: «Encore plus que Procter, Ferrero est l’intouchable parmi les intouchables», confie un acteur de la grande distribution qui demande l’anonymat parce qu’il négocie avec ces marques dans plusieurs pays européens. Plus encore que les couches Pampers ou les lessives «premium» de la multinationale américaine, la pâte à tartiner de Ferrero fait partie de ces produits que les distributeurs considèrent comme des«musts have in stock»: ceux que les clients iront chercher ailleurs s’ils ne le trouvent pas dans leur supermarché habituel.

«Procter est par exemple très fort sur le marché des lessives, mais il se le partage tout de même avec une poignée de concurrents, explique notre connaisseur de la branche. Si Ferrero est si puissant, c’est parce qu’il a inventé tous ses produits, et qu’il n’existe par réellement d’équivalents. »

Du Nutella italien à la Coop

Facile, donc, pour le groupe d’Alba de rire au nez de Coop. D’ailleurs, si la chaîne suisse a retiré les produits Kinder de ses rayons, elle n’a pas osé faire de même pour le Nutella. Pour garder la précieuse pâte à tartiner, Coop n’a eu d’autre choix que de court-circuiter l’importateur officiel, Ferrero Suisse, en s’approvisionnant par des «canaux parallèles» sur le marché européen. La manœuvre est légale et permet à Coop de vendre le pot de 400 grammes à 3. 10   francs au lieu de 3. 50. Bel effet d’annonce, mais il est impossible si le distributeur prend cette baisse à sa charge, ou si, au contraire, il empoche un profit supplémentaire en se fournissant à l’étranger. En l’occurrence, Coop s’approvisionne actuellement en Nutella italien, et vend le pot de 400 grammes au même prix que son concurrent Migros, qui est quant à lui livré par Ferrero Schweiz.

Carrefour aussi, il y a six ans

Ce bras de fer entre Coop et Ferrero fait sourire le spécialiste précité. «La chaîne française Carrefour avait fait exactement la même chose sur le marché belge il y a cinq ou six ans, se souvient-il. Ils se fournissaient en Nutella en Allemagne, mais ils ont fini par abandonner au bout de quelques mois. Coop découvre qu’ils peuvent se battre, et c’est très bien. Ils découvrent aussi la dureté de ces négociations, qui sont le quotidien des distributeurs partout ailleurs. »