Une société zurichoise qui vendait des assurances-vie à des fraudeurs fiscaux vient de payer une amende et de livrer ses clients aux Etats-Unis. Chez Retraites Populaires, à Lausanne, on baisse la tête. Une de ses divisions, fondée avec les Rentes Genevoises, héberge toujours des Américains.
C’était l’été 1999. Les écolières s’encanaillaient en dansant sur «Baby One More Time» de Britney Spears tandis que Claude Richard, directeur général des Retraites Populaires, levait le voile sur un plan ambitieux.
Cherchant à se défaire de son image poussiéreuse, la société fondée en 1901 par Emile Dind allait se lancer dans la vente d’assurances-vie privées, à l’international. Le marché cible était tout trouvé: les Etats-Unis.
«Nous nous adressons à des personnes qui cherchent à préserver leur capital, qui redoutent une dévaluation de la monnaie de leur pays, des difficultés de leur assureur, ou encore une intervention de l’Etat, expliquait Claude Richard, le 5 juin 1999, dans un article du quotidien 24 heures dont le titre sonnait comme un clairon: «Révolution aux Retraites Populaires: à l’assaut des Etats-Unis.»
Quinze ans plus tard, l’optimisme conquérant des années 90 fait place à une sourde angoisse, qui monte doucement le long de l’échine de l’institution vaudoise. La direction de Retraites Populaires donne l’impression de ne plus savoir si ce qui lui arrive est bien réel, ou si tout cela n’est qu’un affreux cauchemar.
Non, vous ne rêvez pas. Après UBS, Credit Suisse et plus d’une centaine de banques, Retraites Populaires, la société de droit public qui gère les caisses de pensions de 32 000 fonctionnaires vaudois, a bien accueilli pendant des années des millions de dollars de clients américains.
Pire: alors que l’existence de cette clientèle dangereuse était restée jusqu’ici un secret bien gardé, voilà que les enquêteurs américains commencent de mettre leur nez dans les affaires des vendeurs suisses d’assurances-vie.
Le 9 mai dernier, la société zurichoise Swisspartners a accepté de verser 4,4 millions de dollars d’amende et de livrer les noms d’une centaine de clients, reconnaissant les avoir aidés à cacher leurs fonds non déclarés sous des assurances-vie.
Cette condamnation a été perçue comme un coup de semonce par l’industrie des assurances, qui aurait elle aussi hébergé quantité de fraudeurs fiscaux dans le sillage des banques.
A l’époque pourtant, vendre des assurances-vie à des Américains pouvait sembler une bonne idée. Fondée comme une société distincte de Retraites Populaires, baptisée «Forces Vives», la petite compagnie privée d’assurances-vie a connu un succès rapide, dès son lancement. Le projet était si alléchant que d’autres institutions cantonales de prévoyance s’y étaient associées: les Rentes Genevoises avaient pris 30% du capital de Forces Vives, et la Caisse cantonale d’assurance populaire de Neuchâtel, 10%.
Dès 2000, les fonds gérés par la petite entité n’ont cessé de grossir, jusqu’à atteindre des montants très importants. En 2008, ils représentaient 10% du total des assurances-vie de Retraites Populaires, et 20% de toutes les primes encaissées.
Le produit phare de la coentreprise était connu sous le nom de «Swiss annuities», ou «annuités suisses». Très en vogue dans le monde anglo-saxon, ce type d’assurance-vie «low-cost» était accessible à partir d’un investissement de 50 000 dollars. Ce montant minimum très bas était une aubaine pour les petits clients, alors que les banques suisses refusaient généralement d’ouvrir des comptes pour moins de 100 000 dollars aux étrangers.
Puis la vague du tsunami fiscal est apparue, loin à l’horizon, renversant d’abord le navire UBS. Retraites Populaires a tardé à réaliser le danger.
Dans un rapport annuel, le président de Forces Vives, Philippe Dumoulin, disait avoir compris «dès 2010» toute la portée du «changement de paradigme» qui touchait la Suisse suite à «la levée programmée d’une partie du secret bancaire».
Or, fin 2011, plus de deux ans après la livraison de milliers de noms de clients d’UBS aux Etats-Unis, un prospectus en anglais de Forces Vives continuait de vanter la Suisse comme un «havre mondialement reconnu» pour sa «discrétion» et sa «stabilité», ses «lois strictes» sur «la protection des données et la confidentialité des clients», ainsi que ses «structures politiques similaires à celles des USA».
Forces Vives l’affirmait alors sans ambages: «La Suisse est le centre financier sur lequel vous pouvez compter.»
Retraites Populaires a récemment effacé tous les prospectus et les rapports annuels de Forces Vives de son site Internet.
De son côté, la direction assure que «dès sa création, l’entité a rédigé des Conditions générales d’assurance (CGA) insistant sur l’aspect fiscal lors de la conclusion d’une police. Elle a notamment stipulé au preneur qu’il est responsable du paiement des impôts. » Impossible, toutefois, de savoir si les clients ont bien respecté cet engagement.
Fin 2010, les Rentes Genevoises et la Caisse cantonale de Neuchâtel ont décidé de quitter le navire, rendant leurs parts aux Vaudois. Seule aux commandes, Retraites Populaires a tenté de revendre le portefeuille de clients gênants à une «société sise à l’étranger», l’an dernier. Ces discussions n’ont pas abouti.
Finalement, Forces Vives a été mise en veilleuse. Le 9 septembre dernier, le conseil d’administration a décidé de ne plus accepter de nouveaux clients et de liquider la clientèle existante, d’une manière qui reste à définir.
Administrateur de Retraites Populaires, le président du Conseil d’Etat vaudois Pierre-Yves Maillard confirme: «J’ai été informé de cette situation et j’ai approuvé le désengagement de ce type de clientèle, acquise il y a plus de quinze ans.»
Cette stratégie ne résoudra pas le problème. Contrairement aux banques, qui ferment de force les comptes de leurs clients non déclarés, une assurance ne peut pas dénoncer unilatéralement un contrat sur la vie. Résultat: les clients américains qui ne s’en iront pas de leur plein gré resteront là, à Lausanne. Et, s’ils l’ignoraient encore, les Américains auront très bientôt l’occasion de l’apprendre.
Retraites Populaires s’apprête à appliquer l’accord fiscal FATCA, qui prévoit la livraison automatique de tous les noms de clients au fisc des Etats-Unis dès le 1er juillet de cette année.
L’institution vient de désigner un nouveau secrétaire général, Raphaël Putallaz, fin connaisseur des questions liées au FATCA, mais il ne prendra son poste qu’en septembre.
Pour l’heure, Retraites Populaires n’a pas jugé nécessaire de consulter un cabinet d’avocats américain pour éclaircir sa situation.