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Vincent, pour l’amour de la vape

Parti de zéro il y a deux ans, Vincent dans les Vapes (VDLV) est devenu le premier producteur français de liquides pour e-cigarettes. Visite à Pessac, près de Bordeaux.

Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 24 juillet 2014.

En pénétrant dans les laboratoires de Vincent dans les Vapes, entre les éprouvettes, les chromatographes et les spectromètres, on pourrait se dire que le nom est finalement mal choisi. Car Vincent et ses amis ont tout sauf la tête dans les vapes.

Vincent Cuisset, le fondateur, et son directeur adjoint, Charly Pairaud, l’ont même particulièrement bien vissée sur les épaules.

En deux ans, leur petite entreprise basée dans la zone industrielle de Pessac, près de Bordeaux, est partie d’un seul employé pour devenir une ruche vibrionnante d’une quarantaine de personnes. Et c’est sans compter les dizaines d’intérimaires qui remplissent, étiquettent et envoient chaque jour les dizaines de milliers de flacons de 10 ml aux arômes ananas, goyave ou tabac Jefferson commandés par les vapoteurs de France et du monde.

Malgré la cadence industrielle, ils continuent de glisser dans chaque paquet un petit mot de remerciement signé à la main, comme le faisait Vincent au tout début.

La trajectoire hyperbolique de la start-up contredit tous les discours sur une économie française moribonde et incapable d’innover.

Le parcours de Vincent Cuisset, 42 ans, et de Charly Pairaud, 40 ans, est une sorte de remake de la start-up californienne, en version girondine. La différence est subtile mais hautement symbolique: si les jeunes pousses de la Silicon Valley démarrent dans des garages, les Français de VDLV ont commencé dans une cuisine.

Vincent et Charly se sont rencontrés dans une vie antérieure, lorsqu’ils étaient tous deux ingénieurs pour le groupe Air Liquide, spécialiste des gaz industriels. Ils ont quitté ces belles carrières en se disant que la rigueur scientifique alliée à leur expérience en matière de production industrielle leur donnerait un avantage dans l’univers encore fumeux mais porteur de la vape. Ils ont vu juste.

Aujourd’hui, VDLV ne révèle pas son chiffre d’affaires mais confirme écouler 1 million de flacons par mois, vendus 5,90 euros pièce sur Internet et dans les boutiques qui poussent comme des champignons dans toute l’Europe.

Comme il se doit, l’aventure s’est faite sans soutien des banques, trop frileuses pour ce genre d’aventures. Partis avec quelques milliers d’euros prêtés par des amis, Vincent et Charly ont tout autofinancé, du début à la fin. Aujourd’hui, les mêmes banques qui leur fermaient la porte sonnent à la leur, mais c’est trop tard.

L’industrie naissante de la cigarette électronique brasse déjà beaucoup d’argent. Estimée à 5 milliards de dollars dans le monde, la vapote dévore vitesse grand V le marché de 600 milliards – gigantesque mais déclinant – de Big Tobacco.

Chaque jour, les quelque 10 millions de vapoteurs européens et les 2 millions de Français – sauf les Suisses et les Belges, qui sont pour l’heure les derniers en Europe à se voir interdire l’achat dans le commerce de e-liquides contenant de la nicotine – découvrent, reniflent et goûtent de nouvelles fragrances produites par une myriade de petits producteurs sortis de nulle part entre la Chine, les Etats-Unis et l’Europe.

Dans ce «Far West» des e-liquides, «certains ont fait beaucoup d’argent très vite», observe Charly Pairaud. Il ne cache pas que Vincent et lui auraient déjà pu s’acheter de belles voitures. Les deux ingénieurs ont préféré investir dans du matériel de pointe, embaucher et peaufiner leur savoir-faire parce qu’ils en sont convaincus: la cigarette électronique n’a rien d’un feu de paille. Mieux: «C’est sur les liquides que le marché va vraiment se déployer à l’avenir», prédit Charly Pairaud.

«On parle beaucoup de la cigarette électronique, mais peu de vapologie, poursuit-il, or c’est comme parler de la bouteille sans parler du vin.» Dans une phase de découverte, les vapoteurs sont très attentifs au matériel, assemblant leurs calumets électroniques avec une variété infinie d’embouts, de réservoirs et de batteries. Cette période n’est que passagère, prédit Charly Pairaud, et l’attention se portera de plus en plus sur le contenu plutôt que sur le contenant.

«Techniquement, la cigarette électronique n’est qu’une ampoule, décrit Charly Pairaud, c’est un filament chauffant monté sur une batterie.» Si cette invention est une révolution, c’est parce que les volutes qu’elle produit ne reposent plus sur la combustion du tabac, mais sur un simple changement d’état: la vaporisation d’un liquide.

Cette innovation a trois conséquences majeures. D’abord, grâce à elle, les fumeurs peuvent se libérer des poisons issus de la combustion. Ensuite, l’industrie du tabac qui tirait ses immenses profits de leur dépendance perd soudain l’exclusivité de la distribution de nicotine. Enfin, cette molécule perd son association historique avec la nocivité du tabac.

«A l’état pur, la caféine ou l’alcool sont aussi des poisons, note Charly Pairaud. L’alcool crée une dépendance dont souffrent des millions de personnes. Reste que la majorité parvient très bien à contrôler sa consommation, et en fait une expérience sociale basée sur le plaisir des sens et sur la découverte.»

Vincent Cuisset et Charly Pairaud sont persuadés qu’il en ira bientôt de même pour la cigarette électronique et ses e-liquides. «Nos clients sont des gens qui pensaient aimer le tabac, et qui découvrent qu’en réalité ils sont dépendants à la nicotine. D’une marque de cigarette, généralement toujours la même, le fumeur devenu vapoteur découvre que tout un univers d’arômes s’ouvre à lui.» Avec un effet surprenant: chez les vapoteurs, le plaisir du goût semble peu à peu prendre le pas sur la dépendance à la nicotine.

Vincent Cuisset explique que la concentration moyenne de nicotine dans les commandes de sa clientèle a tendance à baisser avec le temps. Le phénomène est même «drastique», selon lui. Actuellement, VDLV produit 42 variétés de liquides, disponibles chacun en 9 taux différents, de zéro à 19 mg de nicotine par ml.

«Au début, poursuit Vincent Cuisset, le taux moyen des commandes était entre 16 et 12 mg/ml. Aujourd’hui cela tourne entre 12 et 6 mg/ml.» Pour suivre ce mouvement, VDLV va bientôt introduire une nouvelle gamme à 2 mg/ml.

Pour Charly Pairaud, ce n’est pas un hasard si la France est effectivement en train de se profiler pour devenir un acteur important de la cigarette électronique: «La France est le pays de la gastronomie, de l’oenologie et de la parfumerie. Je suis persuadé que la vapologie est le quatrième pied de cette table de la saveur et des arômes.»

VDLV a développé ses propres techniques de métrologie pour contrôler le plus finement possible tous les produits qui entrent dans la composition de ses liquides: le propylène glycol (produit en Allemagne), la glycérine végétale (France), la nicotine (achetée en Inde). Et bien sûr les arômes – que Vincent Cuisset a considérés dès le début comme le nerf de la guerre des vapes.

Le rapprochement entre le monde de la vape et l’oenologie sur lequel insiste Charly Pairaud ne relève pas seulement du marketing. Dès l’origine, la marque s’est distinguée par l’attention portée à la finesse de ses arômes, uniquement naturels, qui proviennent d’une petite dizaine de producteurs en France.

Celui de pêche vient de Provence, l’anis, le pamplemousse et la violette de Grasse, le melon jaune de Bourgogne, la noisette de Lorraine et la myrtille de Picardie. Ces fournisseurs se sont engagés à respecter scrupuleusement les critères de production de VDLV, qui exige bien entendu l’exclusivité sur ces recettes.

«Nous avons choisi de travailler exclusivement avec des petits laboratoires français surtout pour des questions de flexibilité et de contrôle de qualité, explique Vincent Cuisset. Les petites entreprises sont plus réceptives à nos exigences, qui sont plus élevées que pour la production alimentaire traditionnelle.»

Charly Pairaud voit se dessiner ainsi le marché de la vape: «Comme dans les limonades qui abusent souvent du sucre, il se développe des e-liquides de type Coca-Cola, «boostés» par des arômes artificiels et un marketing d’enfer. Au risque d’aller trop loin, d’être écœurants. A l’inverse, comme dans le monde du vin, notre savoir-faire est dans la mesure, dans la finesse des saveurs qu’offrent nos arômes. J’aimerais que lorsqu’on leur demande ce qu’ils vapotent, nos clients répondent «du Vincent.»