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David Ford: l’homme de Washington

Le responsable de la lutte contre le blanchiment de HSBC Private Bank entretenait des liens privilégiés avec le Département américain de la justice. A l’insu de la direction.

Cet article est paru dans L’Hebdo du 12 février 2015.

Par François Pilet et Marie Maurisse

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David Ford (LinkedIn)

«C’est étrange que vous me parliez de lui, s’étonne un ancien collègue. Je le croisais souvent au siège de Blandonnet. Il saluait tout le monde en disant: «Hi!» Il était très sympathique. Mais je n’ai jamais vraiment su ce qu’il faisait. Tout le monde disait qu’il était de la CIA. Je ne sais pas si c’était vrai.»

Chez HSBC Private Bank, à Genève, David Ford faisait partie des meubles. Avant de devenir responsable de la lutte anti-blanchiment, l’Américain s’était fait remarquer par une première carrière au Département de la justice (DOJ) à Washington. Il y était entré en 1989, à l’âge de 34 ans, après un bachelor en droit à Georgetown et un doctorat à l’Université de Denver.

Ce parcours académique lui avait valu d’emblée le rang de «conseiller juridique senior» au sein de l’Office des affaires internationales à la division criminelle. Celle en charge des plus belles enquêtes. C’est là que David Ford s’est familiarisé avec les grandes affaires de blanchiment. Et les comptes en Suisse.

Dès ses premières années au Département de la justice, le superflic David Ford était en contact régulier avec le procureur de Genève, Bernard Bertossa. Les deux hommes se parlaient au téléphone au moins une fois par an. «Nous faisions le tour des dossiers en cours», se rappelle aujourd’hui le magistrat en retraite, qui garde le souvenir de «quelqu’un de vraiment très sympathique».

Les grandes enquêtes du moment portaient les noms de code «Polar Cap» ou «Moonbeam». Elles remontaient la piste depuis les dealers de Floride, de Californie et du Texas. Des centaines de milliers de dollars avaient atterri sur le compte d’une société suisse, la Shakarchi Trading, auprès de la Republic National Bank d’Edmond Safra.

Après six ans de loyaux services, la quarantaine sonnante, David Ford décida que le temps était venu de passer dans le secteur privé. C’est Edmond Safra qui lui offrait un poste en or: celui de chef de la compliance au sein de Safra Republic Holdings.

En 1995, David Ford s’installe à Genève, où il chapeaute la lutte contre le blanchiment pour la banque en Suisse, au Luxembourg, à Monaco, Paris, Guernesey et Gibraltar. En 1999, après le rachat de la Republic National Bank par HSBC, David Ford devient responsable anti-blanchiment pour l’ensemble de la banque privée, au niveau du groupe. «Ses liens avec Washington étaient connus et appréciés», se souvient un ancien collègue qui a travaillé de nombreuses années à ses côtés.

Sauf que David Ford gardait un petit secret. L’enquête de L’Hebdo révèle que son épouse, Colette L. Ford, était employée par le Département américain de la justice, tout au long de la carrière bancaire de son mari. Basée comme lui à Genève, elle occupait le poste de «juriste senior» au sein de l’Office des affaires internationales, la même division où son mari avait travaillé de 1989 à 1995. Colette L. Ford était notamment responsable de la coordination des demandes d’entraide entre les Etats-Unis et la Suisse, au moins jusqu’en 2008.

Informé de cette situation par L’Hebdo, l’ancien collègue de David Ford tombe des nues. «Vous me l’apprenez, heureusement que je suis assis», lâche-t-il. Colette avertissait- elle David lorsque les Etats-Unis s’apprêtaient à faire bloquer des comptes en Suisse? Et David? Usait-il de ce canal privilégié pour renvoyer des ascenseurs à Washington? Un avocat genevois familier des activités du monde bancaire n’en revient pas non plus: «Le conflit d’intérêts est énorme. Surtout avec les Etats-Unis. Ne me citez pas. Mais ça, alors, ça me dépasse. Si j’avais été la direction de la banque, je n’aurais jamais accepté.» Selon nos informations, la direction de HSBC Private Bank (Suisse) n’était pas au courant. Pour une raison très simple. Bien que basé à Genève, David Ford était formellement employé par le siège du groupe à Londres. Il aurait ainsi échappé aux déclarations sur les conflits d’intérêts, obligatoires au sein de la banque suisse.

Aujourd’hui, David et Colette Ford sont introuvables à leur dernière adresse genevoise. Une voisine dit que le couple est rentré aux Etats-Unis, il y a un an ou deux. L’ancien collègue ose une interprétation: «Une fois la liste des clients balancée dans la nature par Falciani, Washington n’avait peut-être plus d’intérêt à les maintenir ici.» David Ford n’a pas répondu à nos messages. HSBC n’a pas fait de commentaire.