Trois traders russes menaient grand train à Genève. Problème: leur fortune abritée à la Banque Bordier provenait d’une fraude. Douze millions et une villa ont été saisis par la justice genevoise.
(Lire la suite, parue le 2 septembre 2012: Chez Bordier, trois escrocs avec 109 millions au guichet)
«Monsieur Urumov pensait rejoindre la Banque Bordier depuis longtemps, mais il n’avait pas eu le temps jusque-là de venir en Suisse», expliquait le gérant dans la fiche d’ouverture de compte de son client. La banque privée genevoise se réjouissait beaucoup de l’arrivée de Gyorgy Urumov et de ses deux «associés», Ruslan Pinaev et Sergey Kondratyuk. Employés d’Otkritie Securities, filiale londonienne de la grande banque russe VTB, ces trois clients étaient apparemment bien sous tous rapports. Et encore mieux: ils étaient sur un très gros coup.
Les traders se disaient sur le point de vendre un «investissement commun» dans une société russe, Ural Pharma. L’opération allait leur rapporter au moins 120 millions de dollars. Le montant devait arriver depuis une banque en Estonie. C’était en tout cas l’histoire qu’ils racontaient à leurs banquiers suisses. Or comme le montre des documents de justice, ces 120 millions versés en mars 2011 en deux virements provenaient d’une fraude sophistiquée, montée sur le dos de la banque russe et portant sur des produits financiers complexes liés à la dette souveraine argentine.
Ce n’est qu’avec plusieurs mois de recul que la banque a fini par flairer l’embrouille. Sur les formulaires des sociétés écrans créés pour détenir les comptes, les trois traders donnaient des adresses en Russie, mais des numéros de portables à Londres. La vente supposée d’Ural Pharma n’avait fait l’objet d’aucune annonce en Bourse, ni d’aucun article.
C’est l’employeur des trois Russes qui a découvert le pot aux roses, en août dernier, en pinçant un de leurs comparses lors d’une transaction suspecte. Sentant l’affaire tourner à l’aigre, la banque a fini par adresser une «communication de soupçon de blanchiment» aux autorités fédérales, le 7 novembre dernier, déclenchant une enquête de la justice genevoise, qui a activement collaboré avec la banque russe.
Sergey Kondratyuk a été arrêté à Zurich le 21 novembre, et a passé deux mois en préventive. Ruslan Pinaev aurait fui la Suisse. Il est actuellement recherché par le Parquet de Genève, comme Georgy Urumov, considéré comme le cerveau du trio.
Entretemps, la plus grande partie des 120 millions de dollars virés chez Bordier s’est volatilisée. L’argent a été dispersé dans un écheveau de sociétés que la justice et le plaignant tentent aujourd’hui de démêler. Une piste mène vers une petite société de trading, Jecot SA, et vers divers comptes chez Credit Suisse.
Trois mois après avoir reçu sa part du butin, Ruslan Pinaev et son épouse avaient avancé 14,3 millions en liquide pour s’offrir une belle maison à Conches, dans la banlieue chic de Genève. Un notaire local avait encaissé 1,125 million de commissions sur la transaction.
La maison a finalement été saisie par la justice genevoise, de même que 12 millions de francs sur des comptes. En octobre dernier, alors que les filets commençaient de se resserrer autour d’eux, les trois Russes se sont offert des bijoux pour plus de 3 millions de dollars chez le joaillier Chatila, à Genève.
La Banque Bordier n’a pas souhaité s’exprimer. L’avocat de la banque russe, Christian Schilly, s’est, lui aussi, refusé à tout commentaire.