dans big oil

Parfum de corruption sur la rade

Le patron Gunvor, Torbjörn Törnqvist, a informé ses banques genevoises de possibles malversations en avril. Près de 30 millions de dollars ont été versés à un proche du président congolais Denis Sassou Nguesso

Un vent de panique s’est levé sur le petit monde genevois du négoce de pétrole, en avril dernier, alors que la nouvelle se répandait comme une fuite de brut sur la rade. Gunvor, le groupe de trading détenu par un proche du président russe Vladimir Poutine, est apparu dans une enquête du Ministère public de la Confédération. C’est finalement Torbjörn Törnqvist en personne, l’associé suédois du Russe Gennady Timchenko, qui est venu s’expliquer devant ses banquiers il y a un peu plus de deux mois.

L’affaire est devenue publique mercredi, quand la RTS a révélé qu’un employé était bien à l’origine d’une série de versements suspects en relation avec des achats de brut en République du Congo. Selon nos informations 30 millions de dollars avaient été versés à deux sociétés écran via Clariden Leu, filiale de gestion de fortune du Credit Suisse. L’une est détenue par une personne proche du président congolais Denis Sassou Nguesso. L’autre est dirigée par un personnage sans activité ni compétences dans le trading pétrolier. Sur ces 30 millions de dollars sortis des comptes de trading de Gunvor, 7 ont été rétrocédés à l’employé qui a initié les virements. Ces transactions ont alerté Clariden Leu, qui a bloqué les comptes et prévenu le Ministère public fédéral.

Un cas «individuel»

Les deux grands établissements genevois qui financent Gunvor apprennent l’existence de cette enquête en avril dernier – ces informations les jettent dans le plus grand trouble. Les banquiers le font savoir alors: il serait inacceptable que des opérations aussi grossières aient pu se dérouler avec l’aval du management. S’il n’est pas rapidement établi que l’employé a agi seul et que l’affaire se résume à une escroquerie, les deux établissements pourraient se voir contraints de fermer le robinet du crédit au groupe d’origine russe. Selon la RTS, les locaux de Gunvor avaient été perquisitionnés en janvier déjà, de même que le domicile de l’employé concerné. Gunvor a aussitôt précisé que le groupe n’était «à ce jour» pas formellement visé, et qu’il collaborait avec l’enquête. Les soupçons porteraient sur les «agissements individuels d’un employé, dont le contrat de travail a été résilié», a déclaré Andreas Bachmann, l’avocat du groupe, à la RTS.

Le Ministère public semble faire une lecture plus circonspecte des faits. Son porte-parole fait état d’une «procédure pénale dirigée contre inconnu», soulignant ce dernier terme. Le parquet rappelle que «dans un contexte général», une procédure contre inconnu est ouverte lorsqu’il existe un doute sur «qui pourrait éventuellement en être l’auteur ou les auteurs». Selon nos informations, le Ministère public n’est pas au bout de ses peines. Outre les 30 millions qui l’intéressent déjà, il pourrait encore se pencher sur d’autres «commissions», s’élevant cette fois à 5 millions de dollars, et versées là encore par l’employé indélicat à une société non active dans le secteur pétrolier et contrôlée par un résident belge ayant fait l’objet d’une déclaration de soupçon de blanchiment auprès des autorités de son pays. Par la suite, alors que les virements ne passaient plus via les comptes bloqués chez Clariden Leu, l’employé de Gunvor a encore tenté de verser 250 000 dollars à ce même individu, cette fois directement sur son compte en Belgique. Ce sont ces transactions, notamment, qui ont mis la puce à l’oreille des banquiers genevois. L’avocat de Gunvor n’a pas souhaité s’exprimer.